Esther Orner a été publiée dans Le Nouveau Commerce, une prestigieuse revue littéraire dirigée par André Dalmas et Marcelle Fonfreide entre 1963-1996. On pouvait y découvrir, entre de nombreux autres, des textes de Maurice Blanchot, de Djuna Barnes, d’Edmond Jabès, d’Emmanuel Levinas, d’Henri Meschonnic, de Pierre Pachet, de Victor Segalen.
Esther me permet de reproduire ici ce texte : « C’est là que nous habitons » publié dans Les Cahiers du Nouveau Commerce 50/51 Automne 1981
C’est là que nous habitons
à Colette Brunschwig
1. Cette nuit avant l’aube, je me suis réveillée tout en sueur. Je serai l’habitante d’un logis à fissures. Tu les feras plâtrer. Elles ressurgiront. Tu trouveras une maison en grosses pierres de taille. Une de ces maisons qui résistent à tous les tremblements. Elles sont déjà prises. J’essuie mes sueurs. Je serai l’habitante d’une maison fissurée. Cette maison est située près d’un endroit où les maisons s’écartent sur le passage de ceux qui s’y rassemblent. Je connais les noms du lieu. Je sais où il se trouve. Je sais même que l’on s’y rend à pied. Mais je ne suis pas sûre que je retrouverai le chemin précis qui y mène. Les sueurs me reprennent jusqu’à l’aube. Je les essuie encore. Et je me rendors.
2. Je suis dans une maison qui n’est pas mienne. Des bruits m’arrachent au repos que je suis venue y chercher. Je me penche à la fenêtre. Je vois que je n’avais pas vu depuis longtemps. Deux roulottes tirées par des poneys. Derrière elle, des enfants en haillons. Ils placent des pierres sous les roues. L’enfant dit – Et si mes parents étaient des gitans ? Tu n’aurais pas de lieu. Mais j’aurais une maison transportable. Viens construisons un gîte. Dans le jardin un puits relié par un long couloir au puits du voisin. L’un des puits servira de chambre, l’autre de salle à manger. La nuit nous placerons une échelle et nous descendrons dans nos appartements. C’est là que nous habitons. Un jour à la fin de la matinée plus claire que d’autres nous nous sommes jetés dans une des deux chambres. Quelqu’un nous a rattrapé et emmené de force sous la tente. Elle recouvrait un large trou creusé dans la terre. Ne savez-vous que ce puits contient de l’eau ? Et cette tente pourra-t-elle nous protéger ? Vite nous courrons nous jeter à plat ventre sur la pelouse au fond du jardin. Et là, les yeux dilatés nous avons vu la destruction du lieu.
3. Elle habitait une petite maison pas très vieille et déjà à l’abandon. Je le lui fais remarquer. Que veux-tu cette maison n’a pas été construite pour servir éternellement. Je venais chez elle pour la voir mais aussi pour autre chose. Elle attendait ce fais-moi je te prie un plat de champignons. Et c’était – tu sais bien qu’ils ne poussent pas ici. Elle cuisinait en soutien-gorge et en jupon, l’éventail à la main, ce qui n’empêchait pas la sueur de se répandre. J’ai mangée ses aubergines coupées en petits dés avec des oignons frits et des œufs battus. Avant de partir, je n’ai pas oublié de la remercier pour ses bons champignons.
Et je revenais.
Puis elle a quitté cette maison qui ne pouvait la protéger des intempéries. Souvent je me suis retrouvée dans ce quartier mais je n’ai jamais osé aller voir si la maison était encore là.
Et je revenais.
Puis elle a quitté cette maison qui ne pouvait la protéger des intempéries. Souvent je me suis retrouvée dans ce quartier mais je n’ai jamais osé aller voir si la maison était encore là.
4. Il s’était trouvé une pièce en sous-sol qu’il nommait « mon logis ». C’était dans une ville partagée. Plus tard dans cette ville que j’ai toujours connue avec une frontière, il se fera construire une maison. Se fissure-t-elle déjà ou bien a-t-elle été habitée pour l’éternité ? Je ne l’ai jamais vue. J’ai connu ses différents logis, tous inhabitables. Et lui qui restait assis des heures sur une marche de l’escalier. Il fumait sa pipe – plus rien ne pouvait lui arriver. Reste avec moi, nous bâtirons une vraie maison.
Les lieux je ne les ai jamais oubliés mais j’ai oublié jusqu’à la mémoire de ces corps jeunes. Et déjà nous ne sommes plus comme le vieux poète de la ville qui restait assis à une terrasse de café à attendre que les souvenirs le submerge au moins encore une dernière fois.
Les lieux je ne les ai jamais oubliés mais j’ai oublié jusqu’à la mémoire de ces corps jeunes. Et déjà nous ne sommes plus comme le vieux poète de la ville qui restait assis à une terrasse de café à attendre que les souvenirs le submerge au moins encore une dernière fois.
5. Je voudrais te rappeler le temps où nous habitions dans une maison en dur et nous avons décidé d’aller vivre sous la tente dans les champs. C’était l’automne. Nous avons tenu jusqu’à la fin de l’été. Tu avais construit une armoire, une table et des chaises avec des caissons d’oranges. Tu étais très douée. Nos tentes étaient séparées de celles des garçons par un tas de pierre près duquel nous avions fait vœux d’amitié et de simplicité. Plus personne ne sait pourquoi l’été fini, nous avons réintégré ces maisons en dur. Nous avons gardé en commun le rejet des machines qu’un jour ou l’autre nous adoptons. Ce sont elles qui nous éloignent de plus en plus de ces caissons d’oranges. J’ai tenu à te le rappeler aujourd’hui.
6. Si tu veux qu’un pays t’appartienne, sillonne-le dans tous les sens et à pied. Nous nous sommes dirigés vers l’est puis vers le sud-est. Puis nous sommes remontés vers le nord en passant par le centre. L’année suivante nous nous sommes encore dirigés vers l’est puis vers le sud-ouest et retour par le centre.
Quelqu’un nous avait dit – Venez dans la grange de mes ancêtres. Comment peut-on vivre dans une grange ? Je l’ai aménagée, elle est vaste et belle. A-t-elle des poutres apparentes ? Oui. Nous sommes passé près de l’endroit. Mais nous avons continué notre chemin.
Nous avons encore sillonné ce grand pays vert sans jamais arriver à couvrir toute son étendue. Et pourtant nous avions marché.
Quelqu’un nous avait dit – Venez dans la grange de mes ancêtres. Comment peut-on vivre dans une grange ? Je l’ai aménagée, elle est vaste et belle. A-t-elle des poutres apparentes ? Oui. Nous sommes passé près de l’endroit. Mais nous avons continué notre chemin.
Nous avons encore sillonné ce grand pays vert sans jamais arriver à couvrir toute son étendue. Et pourtant nous avions marché.
7. Le jour où les mouches ont commencé à envahir l’endroit, je suis partie. Je suis arrivée dans un lieu surélevé. Là, j’ai vu des façades trouées. Je me suis retournée. J’ai continué de voir des murs défoncés. J’ai regardé mes pieds et j’ai vu l’herbe brûlée. Alors j’ai recouvert ma tête d’un châle de coton. J’ai ramassé une pierre de lave rose. Et je suis partie.
Là où je suis j’éponge mes sueurs. J’avais oublié jusqu’à ce geste. Il est devenu mien. J’essuie encore et encore les sueurs. J’attends que s’achèvent ces journées étouffantes. Souvent elles se prolongent jusqu’à l’aube. Je scrute les fissures qui se déchirent sous mon regard. Je vais me lever et fuir.
Je reste là, décidée à vivre avec ces fissures. C’est devant elles que j’attends l’aube.
Là où je suis j’éponge mes sueurs. J’avais oublié jusqu’à ce geste. Il est devenu mien. J’essuie encore et encore les sueurs. J’attends que s’achèvent ces journées étouffantes. Souvent elles se prolongent jusqu’à l’aube. Je scrute les fissures qui se déchirent sous mon regard. Je vais me lever et fuir.
Je reste là, décidée à vivre avec ces fissures. C’est devant elles que j’attends l’aube.
©Esther Orner
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