La vague émotionnelle entourant le mouvement Black Lives Matter a tout dévasté sur son passage. La puissance de feu médiatique des ennemis de Donald Trump ne s’est une nouvelle fois pas démentie. Car il s’agit bien d’une campagne pour déstabiliser le président américain. Un élément en particulier cristallise les passions : la représentation erronée très répandue que l’on a de l’histoire de l’esclavage aux États-Unis et en Europe. Voici quelques faits et chiffres méconnus ou occultés à ce sujet.
Dans les colonies anglaises, les esclaves blancs étaient les plus nombreux
Au XVIIIème siècle, les esclaves les plus nombreux dans les colonies anglaises d’Amérique du Nord étaient des blancs d’origine anglaise et irlandaise. Pour payer leur traversée de l’Atlantique, nombre de miséreux européens subissaient un régime de servitude temporaire, en général 5 ans. On appelait ce système l’engagisme ou indenture. Certains, environ un quart, étaient même enlevés et déportés de force. Avant 1775, la moitié des Européens immigraient dans les colonies américaines dans le cadre de ce système de servitude temporaire[1]. Il s’agissait souvent de mineurs dont le père signait les papiers d’engagement[2]. Si leur statut n’était pas perpétuel ou héréditaire, leur taux de survie au XVIIème siècle était bien moindre que celui des esclaves africains le siècle suivant. Seul 40 % atteignaient la fin de leur période d’« engagement ».
Anthony Johnson, le propriétaire d’esclaves qui venait d’Angola
Capturé en Angola, Anthony Johnson est arrivé en 1621 en Virginie avec le statut d’indentured servant. À sa mise en liberté, il développa une petite exploitation dans laquelle 4 blancs et 1 noir travaillaient pour lui sous le régime de l’indenture. Suite à l’évasion d’un serviteur noir qui estimait que son « temps » était terminé, il engagea un procès contre le cultivateur blanc chez qui il s’était fait engager. Le tribunal lui donna raison et le fugitif fut condamné à le servir jusqu’à la fin de ses jours. Ce fut la première fois qu’on condamna quelqu’un à la servitude à vie sans qu’il n’ait commis aucun crime. Par la suite, il n’était pas rare que des noirs possèdent des esclaves noirs. Certains planteurs noirs propriétaires de plus d’une centaine d’esclaves devinrent même particulièrement riches. Si ce phénomène était bien entendu minoritaire, il apporte une nuance à l’histoire de l’esclavage aux États-Unis.
Ceux qui capturaient et vendaient les esclaves étaient africains, ceux qui ont mis un terme à l’esclavage étaient européens
L’esclavage a existé en Afrique avant, pendant et après la traite européenne. Selon les chiffres du spécialiste de l’histoire de l’esclavage Olivier Grenouillau, la traite intra-africaine a dépassé en nombre la traite atlantique européenne (un minimum de 14 millions contre 11 millions d’esclaves)[3]. La capture est systématiquement (98 %) le fait d’Africains[4]. Elle a permis à des royaumes africains de s’enrichir massivement en vendant ses fils ou ceux de ses rivaux. C’est finalement les Européens qui ont mis un terme à cette pratique lors de la colonisation. Aux États-Unis, ce sont aussi des descendants d’Européens qui ont fait cesser cette pratique dans leur pays. Cette aversion des Européens pour l’esclavage explique pourquoi ils ont été les premiers à l’abolir et pourquoi on se sert aujourd’hui de son souvenir pour les culpabiliser.
Les Américains d’aujourd’hui sont-ils des descendants d’esclavagistes ?
Selon le recensement de 1860, seul 1,4 % de la population libre américaine possédait au moins un esclave. Des sites de debunkage américains ne nient pas ce chiffre mais ont expliqué que si l’on prenait en compte les foyers possédant un esclave et qu’on l’on ne tenait compte que des états esclavagistes, le pourcentage de personnes impliquées dans la société esclavagiste sudiste augmentait. Ce qui n’est pas la question. Le propos est ici de savoir si les américains blancs d’aujourd’hui sont majoritairement des descendants de propriétaire d’esclaves. On voit donc que ce n’est pas le cas. D’autant qu’une grande partie de la population actuelle des blancs américains est issu des migrations européennes massives postérieures à l’abolition de l’esclavage en 1865. La population passe de 31 millions en 1860 à 92 millions en 1910[5]. Faire des blancs vivant aujourd’hui aux États-Unis les descendants des propriétaires d’esclaves d’hier est par conséquent absolument abusif. Leur attribuer une responsabilité morale héréditaire l’est encore plus. Étendre cette responsabilité à tous les Européens et leurs descendants où qu’ils se trouvent est délirant.
L’esclavage explique-t-il le développement économique des États-Unis ?
Non. Le développement économique américain est essentiellement le fruit de l’industrialisation du nord-est des États-Unis. La révolution industrielle qui y a eu lieu s’explique par des facteurs très divers. L’esclavage et la culture du coton n’y a été pas été déterminants ou indispensables. D’ailleurs des pays esclavagistes comme l’Espagne ou le Portugal n’ont pas connu de véritable révolution industrielle. C’est au contraire l’abandon de cette pratique qui a permis le décollage économique de plusieurs pays[6]. La culture du coton et du tabac, où les esclaves travaillaient majoritairement, a enrichi les propriétaires de plantation. Elle a par contre contribué à maintenir le Sud des États-Unis dans un système économique agraire archaïque. Son retard industriel et économique explique en bonne partie sa défaite face au Nord lors de la guerre de Sécession.
Les esclaves américains du Dey d’Alger
Peu de gens de le savent mais la fameuse US Navy (les forces navales militaires américaines), a été créée à la suite des attaques incessantes sur la flotte marchande des jeunes États-Unis par les barbaresques d’Afrique du Nord. Entre 1785 et 1815, environ 700 Américains ont été maintenus en servitude dans cette région[7]. Ils s’ajoutaient au million d’Européens capturé par les pirates maghrébins entre 1500 et 1830. Ces razzias étaient pratiquées en Europe et dans la Méditerranée dès le VIIème siècle. Les Russes et les autres Européens de l’Est étaient capturés par les Ottomans et les Tatares quand les Européens de l’Ouest l’étaient par les Arabes. La servitude millénaire de plusieurs millions d’Européens est ainsi complètement occultée au profit du souvenir l’esclavage aux Amériques qui dura 3 siècles.
Haïti, pays voisin des États-Unis, pays des enfants-esclaves
Dans un pays qui compte seulement 11 millions d’habitants, 400 000 enfants sont aujourd’hui considérés comme restavek, c’est-à-dire enfant-esclave. Dans certains quartiers de la capitale, Port-au-Prince, 40 % des enfants sont en situation d’esclavage. Si quelques ONG se soucient du sort de ces enfants, elle reste peu connue. Il s’agit pourtant d’une des premières colonies à avoir accédé à l’indépendance en 1804. Sont-ce donc encore les blancs américains ou européens qui y déversent quantité d’aide au développement (l’équivalent de 4 plans Marshall annuels depuis des décénnies) qui sont encore et toujours responsables moralement de ces pratiques ?
La repentance jusqu’où et pendant encore combien de temps ?
La culture de la repentance entretient un esprit de revanche, une mentalité de débiteur de ceux qui s’estiment victimes ou descendants de victimes. Toutes les réussites de l’Europe, sa prospérité, ses réalisations culturelles, architecturales ou artistiques auraient été semble-t-il impossibles sans la traite atlantique. Cette vision de l’histoire de l’esclavage rejoint les mythes sur le pillage actuel ou passé de l’Afrique et les délires sur le franc CFA. En plus d’empêcher les Africains de réellement prendre leur destin en main, elle crée en Europe une situation très dangereuse. Coupables éternels, on ne sait pas très bien jusqu’où la repentance des Européens doit aller, ni ce qu’elle peut justifier. Doit-on tout donner, tout subir et finir par disparaître pour que soient rachetées ces dettes imaginaires ?
Jean-David Cattin
[1] Christopher Tomlins, « Reconsidering Indentured Servitude : European Migration and the Early American Labor Force, 1600–1775, » Labor History (2001) pp. 5–43
[2] Sur l’histoire des esclaves blancs dans les colonies américaines : Don Jordan and Michael Walsh, White cargo – The Forgotten History of Britain’s White Slaves in America, New York University Press
[3] Olivier Grenouilleau, Les Traites négrières. Essai d’histoire global. (2004) p. 74
[4] Ibid. p. 75
[5] René Rémond , Histoire des États-Unis, PUF. (1972) pp. 75–76
[6] Olivier Grenouilleau, Les Traites négrières. Essai d’histoire global. (2004) p. 451
[7] Adams, Charles Hansford. The Narrative of Robert Adams : A Barbary Captive. New York : Cambridge University Press. (2005) pp. 55–56.
[2] Sur l’histoire des esclaves blancs dans les colonies américaines : Don Jordan and Michael Walsh, White cargo – The Forgotten History of Britain’s White Slaves in America, New York University Press
[3] Olivier Grenouilleau, Les Traites négrières. Essai d’histoire global. (2004) p. 74
[4] Ibid. p. 75
[5] René Rémond , Histoire des États-Unis, PUF. (1972) pp. 75–76
[6] Olivier Grenouilleau, Les Traites négrières. Essai d’histoire global. (2004) p. 451
[7] Adams, Charles Hansford. The Narrative of Robert Adams : A Barbary Captive. New York : Cambridge University Press. (2005) pp. 55–56.
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