En France, la crise au long cours du Covid-19 n’en finit pas de nous mettre en colère.
Après la sidération d’une gestion de crise de pays sous-développé, sans masque ni test mais heureusement bien nourri, il nous avait paru nécessaire de poser les bases d’une réflexion renouvelée sur notre souveraineté sanitaire et alimentaire, en écho aux objectifs prioritaires de développement durable ODD n°2 (alimentation) et n°3 (santé) du cycle onusien 2015-2030.
Aujourd’hui, en espérant que l’épidémie ne reparte pas de plus belle,
c’est la fragilité de l’économie et des finances du pays qui pousse à prendre la plume pour défricher les champs du possible et sortir la 6ème puissance économique mondiale de sa dépression.
Dans « La Carte et le territoire », roman qui lui a valu le Prix Goncourt en 2010, Michel Houellebecq dépeint, au fil de la vie lascive de son héros, le paysage ensoleillé et langoureux de l’Europe du Sud, de la France et de l’Espagne en particulier.
Une des idées clés du livre est que nos paysages n’ont plus de sens, plus de contenu, mais servent à merveille de lieux de villégiature, d’espaces de loisirs, voire de luxure, pour touristes argentés venus du Monde entier afin de savourer le charme désuet de notre patrimoine historique, de nos côtes d’azur ou du calme de nos charmantes campagnes.
Ce regard désabusé sur une partie de l’Europe méridionale et sur la France en particulier rencontre douloureusement l’actualité de la crise sanitaire et socio-économique que traverse le pays.
Ce regard désabusé sur une partie de l’Europe méridionale et sur la France en particulier rencontre douloureusement l’actualité de la crise sanitaire et socio-économique que traverse le pays.
Aux côtés de la Grèce, de l’Italie et de l’Espagne, la France sonne le tocsin d’une industrie hôtelière et de restauration à l’agonie. Ne serions-nous plus rien sans les touristes ? Il est vrai que plus de 7% de notre PIB en provient en 2019. C’est plus encore pour les autres grandes destinations de la Méditerranée : la Grèce joue près de 12% de sa richesse nationale sur ce secteur ; l’Italie 13%.
Après avoir fait figure de pays pauvres dans le traitement de la crise proprement sanitaire (cf. notre tribune du 23 mars 2020), nous voilà compris dans le lot des destinations exotiques pour Américains ou Chinois fortunés. Relégués au rang de carte postale, la France se prête à ce que nous appellerons « la prophétie de Houellebecq ».
Voilà donc où nous en serions rendus, à la traîne d’un Monde globalisé, incapables de nous prémunir des effets d’une mobilité croissante des personnes, soumis aux humeurs chagrines de touristes oisifs qui n’auront pas la témérité de braver le séjour dans un « vieux continent » malade respiratoire. Mais les Français, sans grand pouvoir d’achat, sont encore là.
Faute de mieux, ils pourront boucher les trous des annulations des réservations étrangères et contribuer, par l’achat de leurs sandwichs au moins, à maintenir l’équilibre financier des paillotes bon marché du bord de mer. Quelle déchéance. Quelle piteuse image de nous-même.
En bon géographe, nous pourrions illustrer le propos d’une carte planisphère recentrée sur le Pacifique, laissant sur sa marge occidentale l’Europe et sa péninsule hexagonale, comme un pathétique nez de Cyrano qui, touché, à la fin, se couche.
Si le regard pénétrant de Michel Houellebecq dessine, comme souvent dans son œuvre, un portrait désespéré, nous ne pouvons cependant nous résoudre à une forme de d’agonie balzacienne comme une Dame Bovary qui se laisserait mourir, le cœur usé et la tête vide, portée par la langueur de ses amours passés. Il nous faut infléchir le cours d’une géohistoire qui semble inexorable.
La France ne doit pas se laisser aller à « la prophétie de Houellebecq ».
Pour reprendre la typologie des ODD, notre pays, seul ou avec l’Europe qu’on espère plus unie et forte qu’actuellement, a des atouts à faire valoir mais aussi, sans doute, des faiblesses à corriger.
Au chapitre des faiblesses, nous ne reviendrons pas sur notre fragilité sanitaire. Notre tribune du 8 avril sur la reconquête d’un appareil de production de médicaments et dispositifs médicaux dessinait les difficultés à surmonter dans le champ de l’ODD n°2 et de l’accès effectif aux soins. Loin de remettre en cause la globalisation dans son ensemble, il faut au contraire bien cibler les priorités d’une relocalisation nécessaire : la santé et son industrie en est une à l’évidence.
En visant bien et juste, nous pouvons retrouver un facteur essentiel de notre souverain bien-être sans pour autant relancer une inflation mortifère qui nous priverait du soutien de l’Euro dont la durabilité tient avant tout dans la stabilité des prix.
Plus encore que nos faiblesses, la résignation à la perte de nos atouts paraît le mal le plus profond contre lequel il faut lutter. Dans notre tribune du 17 avril, nous appelions déjà à ne pas nous endormir sur les lauriers d’une agriculture française qui conserve un potentiel agronomique et d’innovation technologique remarquable.
Il conviendrait sans doute d’insister, en complément, sur l’érosion de notre puissance énergétique : grâce à notre appareil électronucléaire, la France a la chance de pouvoir avancer sur le chemin d’une économie décarbonatée et à bon marché, dans le droit fil de l’ODD n°7 qui vise à la production d’ « énergie propre à un coût abordable ». Les progrès lents de la recherche-développement en matière de fusion nucléaire laissent espérer à terme l’atténuation de la question des déchets ultimes.
Plutôt que d’abandonner l’héritage transmis par la politique gaullienne d’indépendance énergétique des années soixante, il conviendrait sans doute de l’entretenir et de le moderniser. Il en va de même de nos infrastructures qui demeurent un facteur de notre attractivité, pas seulement touristique, et qu’il convient de continuer d’entretenir ou de moderniser au diapason des ODD n°9 et 11 qui en font une dimension essentielle du développement durable, en particulier dans l’espace urbain.
Face aux défis environnementaux du siècle qui s’ouvre, et en marge de la question climatique et énergétique, n’omettons pas non plus notre potentiel dans les champs d’avenir de la gestion de la matière et des déchets (ODD n°6) ainsi que de la ressource en eau (ODD n°12). Nos entreprises du secteur (cf. Suez, Véolia) comptent parmi les leaders mondiaux et conquièrent chaque année de nouveaux marchés en Asie où la gestion des déchets et de l’eau restent encore balbutiante.
Au-delà de la dimension matérielle du progrès, n’oublions pas non plus notre richesse humaine, intellectuelle. Parmi les tous premiers objectifs de développement durable, l’ODD n°4 dédié à l’éducation nous rappelle la primauté du capital humain pour affronter les défis à venir.
Nos écoles, grandes ou petites, nos universités, sont le terreau d’une France qui demeure conquérante, sûre de la force de son Histoire et de son potentiel de créativité, premier facteur de sa capacité d’adaptation d’un Monde qui n’a sans doute pas fini de nous surprendre.
Il reste bien sûr à questionner la capacité financière à s’engager sur les terrains de l’avenir en investissant à la hauteur de nos ambitions. Ici, le destin de la France rencontre celui de l’Union européenne. Contrairement à l’après seconde guerre mondiale, et le financement de la reconstruction par le plan Marshall qui nous inféodait de facto à la puissance américaine, l’Europe a aujourd’hui les moyens de sa propre résurrection.
La Banque centrale européenne, comme après la crise économique de 2008, a commencé de répondre présente et la monétisation de la dette publique, pourvu qu’elle soit véritablement utile à la relance, paraît la solution la plus sûre pour stabiliser nos économies tant que l’inflation reste aussi basse qu’actuellement.
A la Commission de transformer l’essai via son nouveau cadre financier pluriannuel 2021-2027 et, plus encore, à l’ensemble des Européens, y compris les Allemands, leur Cour constitutionnelle, les Néerlandais et les Scandinaves, de prendre leur responsabilité et de permettre à l’Union d’avancer. Faute de dynamique, elle pourrait tomber et ce ne seront pas seulement les Etats du Sud de l’Europe qui s’affaisseront.
Soit l’Union sortira, dans son ensemble, par le haut de la crise, soit elle en reviendra à ses vieux démons nationalistes et xénophobes dont on ne connaît que trop bien le point de chute.
Par-delà les considérations économiques et financières, c’est finalement un état d’esprit positif et combattant qui permettra à la France et à l’Europe de sortir du marasme et de rompre « la prophétie de Houellebecq ».
Nous avons tant d’atouts, à commencer par notre culture et notre intelligence collective pour nous laisser aller à la tentation littéraire d’un déclin qui ne serait rien d’autre qu’un renoncement dont nous serions les premiers coupables et nos enfants les premières victimes. Non à l’Europe villégiature et la France carte postale. Laissons les romans et leur héros fatigués à leur déchéance. Donnons notre espérance engagée à l’Histoire en mouvement d’un vieux continent ragaillardi.
Robin Degron
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