Adapté du chef-d'œuvre autobiographique de Romain Gary, le film d'Éric Barbier divise la critique. Si certains y voient une «épopée historique et spectaculaire», beaucoup regrettent de n'y voir qu'une «saga sans âme».
«Avec l'amour maternel, la vie vous fait à l'aube une promesse qu'elle ne tient jamais. Chaque fois qu'une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances». Cette citation résume à elle seule l'essence du roman de Romain Gary. Militaire, aviateur, résistant, diplomate, écrivain. L'auteur, deux fois prix Goncourt, avait mille noms et autant de visages. Roman initiatique et d'aventures, œuvre autobiographiques et conte mythique, La Promesse de l'aube est avant tout une œuvre fondamental sur l'amour maternel. La mère, personnage clé et central du livre, est une actrice ratée, exilée qui compte sur son fils pour accomplir tout ce qu'elle n'a jamais pu faire.
Cet amour maternel le mènera là où il ne serait jamais allé seul. Amour exclusif et inconditionnel, il est à la fois une bénédiction et une malédiction. Si Romain Gary a su se montrer à la hauteur de toutes les attentes maternelles, il ne fut jamais capable de retrouver ailleurs un amour si passionné et authentique. La Promesse de l'aube revient sur la vie de son auteur, ses péripéties et ses doutes, ses craintes et ses réussites. Le livre commence en Pologne, à Wilno (Vilnius aujourd'hui, NDLR), se poursuit à Nice et se termine sur les années de guerre entre la Grande-Bretagne et l'Afrique. Roman fleuve, il n'avait été adapté qu'une fois, par Jules Dassin en 1970.
L'exercice s'apparente il est vrai à de la voltige, tant ce livre est à la fois foisonnant, épique et intime. Plus connu pour ses polars, Éric Barbier a relevé malgré tout ce défi de l'adapter. «Le réalisateur s'est donné les moyens de ses ambitions. On pourra évoquer le budget du film (24 millions d'euros), à un niveau atteint en 2017 par des longs-métrages français qui se comptent sur les doigts de la main. Mais le défi va bien au-delà des millions alignés. Là où le livre mêle époques et pays dans un délicieux désordre savamment intuitif, le film reconstruit un fil chronologique et resserre sa trame autour du couple fusionnel mère et fils. Juive, pauvre et divorcée, Nina a une revanche à prendre sur la vie et deux armes: une détermination d'acier et un fils qu'elle destine à des gloires susceptibles d'éteindre le feu de toutes ses humiliations. Elle promet à Romain un amour inconditionnel. Il lui fait en retour la promesse de s'accorder à ses desseins. Il s'y tiendra», estime pour sa part La Croix .
Le film réussit surtout, selon Marianne , son évocation de la relation entre la mère et son fils. «Éric Barbier en a tiré une œuvre cinématographique à la dimension du chef-d'œuvre romanesque. Mais ce ne sont pas les mille vies, tourmentées, claudicantes ou fastueuses, de Romain Gary que le réalisateur s'est contenté de narrer. Cette enfance emportée dans un tourbillon où rien d'autre ne lui était permis que de devenir un génie, un héros, un séducteur, un des maîtres du monde… C'est le film d'une mère qu'a réussi Barbier, celui d'une femme à la force aussi démesurée que son exubérance, à l'amour aussi débordant que ses rêves», écrit l'hebdomadaire.
Pour que cette relation fusionnelle et anxiogène puisse être crédible à l'écran, il fallait deux acteurs au diapason. «Tour à tour effrayante, douce, tyrannique, forte, pathétique, drôle ou bouleversante, Charlotte Gainsbourg ne cesse d'en faire une femme formidablement attachante par son amour qui ne doute jamais de son objet», juge encore La Croix. «Charlotte Gainsbourg l'incarne avec une intensité qu'on lui avait rarement vue au cinéma. Possédée, elle réussit à jouer l'excès sans sombrer dans le ridicule», estime pour sa part le JDD .
Le film n'oublie jamais qu'il n'est qu'un récit, où la réalité ne se reflète que dans l'imaginaireLibération
Pierre Niney n'est pas en reste, selon Libération : «Sur le papier, il semblait trop gringalet et emprunté pour jouer au baroudeur téméraire. Mais il incarne finalement très bien la part d'adolescence nigaude qui persiste dans ce personnage poussé trop tôt à devenir un homme viril et héroïque par une mère aveuglée d'admiration pour sa créature. Alors, ce qui pourrait sonner faux ne fait que souligner la part de jeu et de théâtre qui dicte les péripéties de Romain, qui a toujours l'air un peu déguisé, un peu trop jeune et en deçà de ce qu'il vit». Le journal apprécie que le film joue sur l'ambiguïté de son genre: des éléments autobiographiques côtoient des passages presque fantasmés: «Le film n'oublie jamais qu'il n'est qu'un récit, où la réalité ne se reflète que dans l'imaginaire: une histoire racontée par un romancier mythomane, lui-même soumis aux rêves extravagants de sa mère. Et l'émotion advient lorsque, dans ce qui n'est pas un happy end, le réel reprend in extremis ses droits sur la mystification.»
«Soigneusement produite mais sans âme»
D'autres critiques s'avèrent bien moins emballés par cette adaptation qu'ils jugent bien trop sage. «Si Barbier se contente d'illustrer le roman (c'est déjà ça), il le fait avec l'application de l'artisan. La reconstitution est précise (décors, costumes), la photo, délicate, les effets visuels, efficaces (impressionnante scène de bataille aérienne). C'est un biopic carré, d'un romanesque suranné, dans lequel Charlotte Gainsbourg livre une prestation à l'ancienne, volontiers expressionniste, avec un accent russe à couper au couteau, loin du réalisme en vogue. Face à elle, Pierre Niney excelle à jouer le jeune premier tourmenté, son emploi du moment. Rien de très excitant mais rien non plus de catastrophique», estime ainsi Christophe Narbonne de Première.
Une simple «illustration» plutôt qu'une réelle adaptation, c'est cela que regrette également L'Obs. «Éric Barbier n'a pas adapté le roman autobiographique de Romain Gary. Il l'a illustré. Avec beaucoup de fidélité, des moyens pharaoniques (24 millions) et en prenant tout son temps: deux heures onze. Tout cela est, formellement, irréprochable. Manquent seulement l'émotion et la ferveur. C'est-à-dire l'essentiel», peut-on lire dans le magazine. Nathalie Simon, du Figaro , est plus sévère encore. «On ne devrait jamais voir au cinéma des adaptations de livres qui nous ont enchantés. Elles correspondent rarement à notre attente. C'est le cas de La Promesse de l'aube, qu'Éric Barbier a réussi à transformer en minestrone épais et indigeste.
Le roman est si dense et foisonnant qu'on comprend pourquoi si peu de cinéastes s'y sont attelés», regrette la journaliste qui trouve Charlotte Gainsbourg «caricaturale». «La Promesse de l'aube était celle d'un destin digne du grand écran. Aujourd'hui, c'est aussi un film raté», juge Positif.
Le «ratage» selon certains critiques viendrait du fait que le film est trop «lisse», manquant de profondeur, comme l'explique Culturebox : «Le mode de récit, avec une voix off très présente de Pierre Niney (Gary adulte), assure le rythme mais c'est au détriment de la sensibilité et de la finesse si bien déployées dans l'œuvre de référence. Du grand spectacle, oui. Mais il manque les aspérités, tout avance trop vite, on ne fait qu'effleurer ces moments de drames ou d'allégresse.
Charlotte Gainsbourg déploie une belle énergie, impose un accent russe sans se décrédibiliser, mais elle perd en subtilité. Pierre Niney, lui, surjoue Gary sans nous convaincre. Son incarnation reste en surface, pas assez de tourments, on cherche en vain les démons qui habitaient l'écrivain.» La Promesse de l'aube promet encore de riches empoignades.
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