L’origine de la communauté juive éthiopienne
Les Juifs éthiopiens, qui sont aujourd’hui au nombre de 135 000 en Israël, sont aussi appelés Beta Israël (littéralement la « maison d’Israël ») ou Falasha (« exilés » en amharique), même si ce dernier terme est peu utilisé au sein de la communauté elle-même. Plusieurs théories expliquent leur origine, la plus répandue étant qu’ils descendraient des Israélites ayant accompagné le prince Ménélik, fils du roi Salomon et de la reine de Saba, lorsqu’il aurait apporté l’arche d’alliance (1) en Éthiopie, au Xème avant Jésus-Christ. Une autre tradition orale les dit descendants d’une des dix tribus perdues d’Israël, la tribu des Dan. Cette théorie tend à devenir la plus répandue car elle est endossée par le Grand rabbinat d’Israël depuis 1973 (2). Enfin, un mythe moins connu dit que les Falashas descendraient d’un groupe d’Hébreux ayant refusé de suivre Moïse lors de sa sortie d’Égypte.
Si les Beta Israël se considèrent donc eux même comme des descendants d’Hébreux, les historiens exposent souvent deux autres hypothèses pour expliquer l’apparition de communautés juives en Éthiopie. La première, l’hypothèse juive, les voudraient descendants d’un noyau juif présent en Éthiopie avant le Vème siècle et qui se serait par la suite étendu via des mariages mixtes et des conversions. Le second postulat, l’hypothèse chrétienne, envisage les Falashas comme un groupe de chrétiens fondamentalistes ne considérant comme authentique que le Pentateuque (3) et rejetant le Nouveau Testament. Plusieurs facteurs tendent à corroborer cette théorie, notamment le caractère très judaïsant du christianisme copte éthiopien (respect du Shabbat, circoncision, interdits alimentaires). En l’absence de preuves formelles, ces deux hypothèses subsistent aujourd’hui.
Pendant plusieurs siècles, les Beta Israël ont évolué dans le nord de l’Éthiopie, principalement dans la province du Gondar et, à moindre mesure, dans celle du Tigré où ils bénéficient de petits États indépendants. Au XVIIème siècle, ces terres sont conquises par l’armée chrétienne éthiopienne et les Beta Israël sont globalement dépréciés dans le nouvel État éthiopien. L’ensemble des Juifs du Gondar perdent leurs terres, bien qu’une petite classe moyenne parvienne à subsister. Du XVIIIème au XIXème siècle, l’État central éthiopien s’effrite et se voit dominé par différents seigneurs de guerre. La communauté des Beta Israël devient alors largement marginalisée et se replie sur elle-même, dans des villages réservés (4).
Les communautés juives d’Europe commencent à prendre réellement connaissance des Beta Israël à partir de 1859, lorsque ces derniers entrent en contact avec des missionnaires protestants de la « London Society for Promoting Christianity Among the Jews » (5). Plusieurs rabbins proclament alors rapidement la judaïté des Falashas et une mission est organisée par l’Alliance Israélite Universelle, sous la direction de Joseph Halévy. Au début du XXème siècle, une autre mission est menée dans le nord de l’Ethiopie par Jacques Faitlovitch, un élève de Halévy, qui travaille à la formation d’une élite Falasha dans diverses institutions juives occidentales. À partir de 1921, leur judaïté est officiellement reconnue par le Rav Kook, Grand Rabbin de la communauté ashkénaze de Palestine.
Une judaïté tardivement reconnue par l’État hébreu
Lors de la création d’Israël en 1948, le Grand rabbinat décide, contrairement à ses prédécesseurs, de ne pas reconnaître la judaïté des Beta Israël et donc de ne pas autoriser leur immigration dans le nouvel État juif. La majorité des écoles juives éthiopiennes, financée par l’Agence juive, est progressivement fermée et les institutions juives américaines qui aident financièrement les Beta Israël cessent leurs activités. Seule une vingtaine de juifs éthiopiens sont présents en Israël dans les années 1950 et ils repartent tous en Éthiopie après l’obtention de leur diplôme. Un petit réseau d’immigration se met toutefois rapidement en place. Elle est majoritairement le fait d’hommes éduqués venant en Israël avec un visa de tourisme et y restant illégalement par la suite.
En 1974, le régime de Hailé Sélassié chute au profil d’un groupe de militaires procommunistes aux positions antireligieuses préjudiciables pour les Beta Israël. L’Éthiopie bascule dans une guerre civile entre les troupes gouvernementales et les rebelles de gauche et le pays fait bientôt face à une famine qui plonge durablement les populations du nord du pays, dont les Beta Israël, dans une grande précarité. Des milliers d’Ethiopiens tentent alors de fuir la guerre et la famine dans les pays voisins.
Au même moment, les débats sur la judaïté des Falashas sont relancés en Israël. Le Grand Rabbin séfarade, Ovadia Yossef, reconnaît leur judaïté en février 1973, en s’appuyant sur une décision rabbinique égyptienne du XVIème siècle (6). Le Grand Rabbin ashkénaze se rallie à cette décision l’année suivante. Au niveau gouvernemental, il faut attendre 1975 pour que Yitzahk Rabin reconnaisse le caractère juif des Beta Israël et leur accordent ainsi le bénéfice de la loi au retour (7). À partir de ce moment, plusieurs exodes massifs ont lieu et ce malgré l’interdiction faite par le gouvernement éthiopien à ces ressortissants juifs d’émigrer vers Israël (8). Le gouvernement israélien organise alors plusieurs missions de transfert massif des juifs éthiopiens, notamment à travers les opérations Moïse et Salomon durant lesquelles 16 000 et 14 000 Falashas sont respectivement transportés vers Israël (9).
À partir de la fin des années 1980, les Juifs éthiopiens deviennent ainsi une communauté relativement importante de la population israélienne. Or, la société israélienne est déjà fortement fragmentée entre diverses communautés souvent hermétiques et l’intégration des Beta Israël s’avère être compliquée.
Une intégration encore inachevée
A leur arrivée en Israël, plusieurs problèmes se posent pour les Falashas. La majorité d’entre eux provenant de petits villages éthiopiens, il y a tout d’abord un choc culturel assez important lors de l’arrivée des nouveaux migrants dans l’univers urbain israélien. À cette difficulté d’adaptation s’ajoute une problématique récurrente à chaque nouvelle vague d’immigration en Israël, celle de l’espace. Dès les premières vagues d’immigration, des camps de mobil-home sont mis en place en périphérie des villes. Or cette solution qui ne devait être que provisoire devient permanente pour des milliers d’entre eux, qui y patientent parfois depuis vingt ans, contribuant à freiner l’intégration des Falashas.
Plus de trente ans après les premières vagues d’immigration, la révélation de plusieurs scandales autour de l’arrivée des Falasha confirme à la fois leur non-intégration mais aussi la persistance d’un racisme à leur égard. Ainsi, le ministère israélien de la Santé avoue en 2013 avoir pratiqué des injections d’un agent contraceptif de longue durée aux immigrantes juives éthiopiennes (10). Ces injections, administrées dans les camps de transit éthiopiens avant leur arrivée en Israël, ont été faites sans le consentement des patientes, qui pensaient toutes recevoir un vaccin. Depuis 2000, le taux de fécondité des Juifs éthiopiens d’Israël a ainsi baisé de 50 %.
D’autre part, la situation sociale des Falashas semble ne s’être que peu améliorée au cours des dernières décennies. S’il est vrai que la deuxième génération d’immigrants est globalement plus scolarisée et qu’une classe moyenne éthiopienne a fait son apparition, l’écart socio-économique entre la communauté éthiopienne et le reste de la population israélienne est abyssal. En 2013, un rapport du Contrôleur général de l’État sur les discriminations sociales en Israël révèle que 65% des jeunes éthiopiens vivent sous le seuil de pauvreté et que 18% d’entre eux sont touchés par le chômage, contre 5,6% pour le reste de la population (11). La diffusion de la vidéo, en mai 2015, d’un soldat éthiopien, Damas Pakada, se faisant molester par deux policiers blancs provoque plusieurs manifestations au printemps. Le 3 mai 2015, environ 10 000 personnes se rassemblent à Tel Aviv, selon la presse (12). Pendant cette manifestation, une vingtaine de personnes sont blessées (13). Pour calmer l’échauffement des esprits, plusieurs membres du gouvernement israélien interviennent rapidement. Le lendemain de la manifestation, le Premier ministre Benjamin Netanyahou rencontre le soldat Damas Pakada. Naftali Bennett, ministre de l’Economie, exprime le fait que la société israélienne fait face à un « sérieux examen de conscience » et qu’il convient de chercher « les vraies solutions aux problèmes qui sont apparus de manière si douloureuse ». Le président Rivlin s’exprime également au cours d’une déclaration : « Israël a commis pendant des années des erreurs dans leur intégration. Nous n’avons pas vu, nous n’avons pas bien fait, nous n’avons pas assez écouté. Mais nous avons maintenant les moyens de corriger tout cela » (14).
La conjugaison entre les difficultés économiques et l’extrême diversité de la société israélienne peut générer un manque d’intégration sociale. Non seulement, la grande diversité religieuse que l’on peut trouver à travers les différents courants du judaïsme est génératrice de tensions, notamment entre les ultra-orthodoxes, les orthodoxes et les « laïques », mais la pluralité ethnique est aussi souvent source de discrimination. Les différentes vagues d’émigrations en Israël sont à cet égard révélatrices de l’évolution des tensions sociales. L’arrivée de nombreux juifs ashkénazes, à partir de la fin des années 1980, est par exemple à l’origine d’une nouvelle forme de discrimination envers les séfarades, les marginalisant socialement. Les derniers événements concernant les Juifs éthiopiens sont donc à inscrire dans la longue histoire d’une société fractionnée entre les différentes communautés qui la composent.
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