
La littérature et le cinéma sont hantés par les savants fous – blouse blanche et cheveux embroussaillés – mais cette image d'Épinal trouve bien une véritable résonnance dans l'Histoire. Comme le prouvent ces huit érudits, ne vivant que de sciences et d'eau fraîche, qui ont voulu sacrifier leur existence – et parfois celles des autres – pour leurs expériences. Car ce n'est pas parce que l'on est à l'origine de la loi de la gravitation ou encore de l'électricité musculaire, que l'on ne peut pas perdre la tête…

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Wan Hoo (vers le XVe siècle), l’astronome pas assez pragmatique
Bien avant Youri Gagarine, premier homme à avoir effectué un vol dans l’espace en 1961, ou encore Neil Armstrong, le chanceux qui a mis le pied sur la lune en 1969, l’hurluberlu Wan Hoo avait lui aussi essayé d’avoir la tête dans les étoiles. La légende veut que ce riche fonctionnaire chinois ait vécu au cours du XVe siècle, sous la dynastie Ming, même si d’autres écrits prétendent qu’il serait né plusieurs siècles auparavant.
Wan Hoo, un peu rêveur, a attaché 37 fusées à une chaise en osier. Il a ensuite ordonné à ses laquais d’allumer les petites mèches, en même temps, pour l’envoyer vers l’infini et… l’au-delà. C’est bien là qu’il est allé. Car derrière le nuage de fumée, Wan Hoo a bel et bien disparu. Pour rendre hommage à cet astronome du dimanche, des scientifiques ont donné son nom à l’un des cratères de la Lune.
Wan Hoo, l’astronome pas assez pragmatique

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Tycho Brahe (1546-1601), le colérique érudit
Issu d'une grande famille de la noblesse danoise et reçu comme un invité de marque dans toutes les cours d'Europe, Tycho Brahe était réputé pour deux faits. Tout d’abord pour ses excentricités : l’on dit qu’il vivait avec un élan de compagnie et que, dans son palais, il se divertissait avec des nains. Mais c’est surtout parce qu’il était un génie en astronomie que l’aristocrate se fit un nom. Il marque même une rupture dans l'Histoire scientifique tant ses positions sur la géographie spatiale étaient précises et immuables. Tycho Brahe voulait toujours avoir raison, et quiconque le contredisait se prêtait à son courroux.
Un soir d’octobre 1566, alors qu’il observe, comme à son habitude, les astres, Tycho Brahe prévoit une éclipse de Lune qui marquera, selon lui, la mort de Soliman le Magnifique. L’éclipse aura bien lieu mais le sultan décède quelques semaines auparavant. L’astronome devient alors la cible de toutes les moqueries, surtout celle de son cousin, Manderup Parsberg. Irascible, Tycho Brahe décide de provoquer ce dernier en duel pour, croit-il, lui donner une bonne leçon. Mais il semblait avoir oublié qu’il était bien plus grand intellectuel qu’épéiste. Le savant est blessé au visage et y perd son nez. N’avait-il pas flairé la mauvaise affaire ? Pour y remédier, Tycho Brahe se fait fabriquer des prothèses nasales en métaux précieux. Spirituel, certes, mais néanmoins coquet.
Tycho Brahe (1546-1601), le colérique érudit

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Stubbins Ffirth (1782–1820), le (trop) ambitieux étudiant
Alors qu’il n’était encore qu’un tout jeune étudiant et qu’il faisait ses gammes à l’université de Pennsylvanie, Stubbins Ffirth a voulu se faire un nom… et ce, par n’importe quel moyen. En 1793, alors que la fièvre jaune ravage la ville de Philadelphie où il réside, l’estudiantin chercheur veut prouver que cette terrible maladie n’est pas contagieuse, contrairement à ce que prétendent les autorités publiques. Mais puisque personne ne veut l’épauler dans ses études, Ffirth n’a pas d’autre choix que d’être le cobaye de ses propres expériences. Il se procure des litres et des litres de vomi des souffreteux, et se l’étale d’abord sur les yeux et sur des plaies qu’il s’incise lui-même.
Puisqu'après quelques jours, il est toujours en bonne santé, il continue sa scatologique démonstration en faisant frire ce vomi pour en respirer les inhalations. Sans l’ombre de la moindre maladie, il s’enduit ensuite le corps du sang et de la salive des contaminés. À la fin de ces maintes péripéties, il en conclue que la maladie n’est en effet pas contagieuse. Il était temps. Malheureusement pour lui, ce n’est que soixante ans après sa mort que l’on découvrira que la fièvre jaune se transmet par les moustiques.
Ffirth, le (trop) ambitieux étudiant

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Giovanni Aldini (1762-1834), le magicien du corps humain
Chez les Aldini, l'amour de la science est une affaire de famille. Luigi Aldani, l'oncle de Giovanni, avait fait la découverte de l'électricité animale et des impulsions lancées par le cerveau vers le reste du corps. Le jeune Giovanni, quant à lui, a voulu approfondir cette question et a consacré la majorité de ses travaux au galvanisme, c'est-à-dire à la contraction des muscles par un courant électrique. Mais plutôt que de se contenter des habituels cobayes animaux, le physicien a préféré travailler sur des cadavres humains.
Il choisit donc de s'exercer sur le corps de condamnés à mort, comme celui de Georges Foster – un pendu encore chaud – qu'il anime grâce à la « fée électricité », sur une place publique en plein cœur de Londres. À force d'être stimulé, le corps du mort semble bouger. La foule dit même l'avoir vu danser. Le scientifique passe alors pour un véritable magicien, un saltimbanque voire un sorcier. L'anecdote de Giovanni Aldini aurait inspiré à Mary Shelley son très célèbre roman, Frankenstein.
Giovanni Aldini (1762-1834), le magicien du corps humain

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John Paul Stapp (1910-1999), le casse-cou
Expert en biophysique, le Docteur Stapp a été engagé par l’armée américaine pour améliorer la sécurité aéronautique, au lendemain de la sanglante Seconde Guerre mondiale. Le scientifique prend alors sa mission très à cœur, même quand cela implique de créer des machines mortelles et de les tester sur… lui-même. Son esprit torturé élabore une « luge-fusée » : une invention de tous les diables.
Le 10 décembre 1954, il s’installe dans la monstrueuse machine, même s’il sait que cette expérience pourrait lui être fatale. Lancé dans le désert californien, l’appareil atteint les 1017 km/h en cinq secondes puis se stoppe net et redescend en bas du compteur en seulement une seconde. C’est comme s’il avait percuté un mur de plein fouet avec une voiture roulant à 200km/h. Le choc est tel que Stapp s'évanouit, se fracture le corps à plusieurs endroits et perd la vue durant quelques jours. Malgré tout, il mourra des années et des années plus tard, vieux et apaisé, blotti dans son lit, et fier d’être, pour toujours et à jamais, « l’homme le plus rapide du monde ».
John Paul Stapp (1910-1999), le casse-cou

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Nicolae Minovici (1868-1941), le professeur azimuté
Alors qu’il enseignait la médecine légale depuis plusieurs années à l’Université de Bucarest, l’éminent professeur Minovici commençait à s'ennuyer un peu. Pour tenter de se divertir, il se pose alors une question des plus légitimes : que ressent-on quand on est pendu ? Difficile d’y apporter une réponse sans passer l’arme à gauche. Et puisque son éthique lui interdit d'utiliser autrui pour arriver à ses fins, c'est son corps qu'il transforme en véritable laboratoire.
Pour commencer, il s’auto-asphyxie, en s’allongeant sur lit et en se passant la corde au cou. Il réitére, quelques semaines plus tard, en demandant à ses assistants de le pendre pour du bon. Mais quand ses pieds quittent le sol, la douleur est si intense que Minovici demande à redescendre. Souffrant d’intenses douleurs à la glotte, il ne pourra plus s’alimenter normalement pendant plusieurs mois. Mais ses petites extravagances lui vaudront une renommée intenationale et ses Études sur la pendaison seront publiées en Roumanie et en France.
Nicolae Minovici (1868-1941), le professeur azimuté..
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