Comment Sapiens: une brève histoire de l'humanité est-il devenu un best-seller planétaire? Et qui est son auteur, le très original Yuval Noah Harari? Réponses à l'heure où paraît en France son nouveau livre, Homo deus.
Son fan-club est le plus huppé de la planète. Le président Obama a adoré cette "histoire de l'humanité vue du ciel". Bill Gates a chaudement recommandé ce livre "vivifiant". Mark Zuckerberg l'a distingué dans son "club du livre" Facebook. On pourrait également citer des gens aussi différents que le musicien Brian Eno, l'artiste contemporain Damien Hirst ou l'ancien ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, Hubert Védrine.
Tous ont adoré Sapiens: une brève histoire de l'humanité, de Yuval Noah Harari, cette vaste fresque qui brosse l'histoire de l'homme du néolithique à Google. Ils ne sont pas les seuls. Le 31 juillet dernier, l'édition anglaise du livre passait la barre du million d'exemplaires vendus. En France, il s'en est déjà écoulé plus de 250000 volumes et l'ouvrage figure dans le haut du classement des meilleures ventes de L'Express depuis... 70 semaines! Ajoutons enfin que le livre fait un carton à peu près partout où il est traduit -42 pays à ce jour.
"Une vision stratosphérique des problèmes de l'humanité"
Et c'est loin d'être fini. Yuval Noah Harari publie aujourd'hui en France la "suite" de Sapiens, Homo deus: une brève histoire de l'avenir (Albin Michel). Nul doute que le livre ne saurait tarder lui aussi à être un best-seller. Mais comment un jeune professeur d'histoire israélien totalement inconnu il y a encore quatre ans a-t-il pu conquérir la planète? "Il sait rendre simple des choses compliquées. C'est un extraordinaire vulgarisateur", explique Anne Michel, son éditrice chez Albin Michel.
La manière dont il met en relation des disciplines très éloignées est prodigieuse, ajoute Hubert Védrine. Rien d'étonnant à ce que des gens comme Obama ou Bill Gates, qui gèrent des questions planétaires, l'aient apprécié: Harari propose une vision stratosphérique des problèmes de l'humanité."
Pourtant, au départ, Harari, né en 1976 à Kiryat Ata, dans le district d'Haïfa, en Israël, n'était qu'un maître de conférences parmi d'autres à l'université hébraïque de Jérusalem. Sa spécialité? La guerre au Moyen-Âge. On doit à ce diplômé d'Oxford des publications plutôt confidentielles comme Opérations spéciales à l'âge de la chevalerie, 1150-1550 ou Champ de bataille et naissance de la guerre moderne.
"Un jour, des étudiants de son université ont réclamé un cours général sur l'histoire de l'humanité. Les professeurs les plus réputés ont tous décliné et finalement le 'junior' Harari s'est porté volontaire", raconte Anne Michel. Il se lance donc dans ces cours, dispensés sur Internet sous forme de MOOC (Massive Open Online Course).
C'est un succès: bientôt, 80000 étudiants suivent les leçons du professeur Harari. Pourquoi ne pas en faire un livre, se dit alors l'historien? Quatre maisons d'édition israéliennes déclinent et c'est finalement Kinneret qui, en 2011, décide de le publier. Premier tirage: 5000 exemplaires... Petit miracle, au fil des mois, l'ouvrage s'impose par sa limpidité prodigieuse en tête des ventes en Israël.
Yuval Noah Harari, une personnalité à part
Du coup, on commence à s'intéresser à la personnalité très atypique de Yuval Harari. "J'ai été extrêmement surpris quand je l'ai rencontré à Paris, en juin 2016, se souvient Hubert Védrine. Je m'attendais à un vieux professeur érudit et j'ai découvert un jeune homme plutôt petit et timide." C'est peu dire que Yuval Noah Harari est un professeur à part.
Gay, il vit avec son compagnon, Itzik, dans un moshav, une coopérative agricole, près de Jérusalem. Le mariage gay n'étant pas reconnu en Israël, les deux hommes sont allés se marier au Canada. Harari est aussi végétalien.
C'est en écrivant Sapiens qu'il a découvert l'ampleur des souffrances infligées par l'homme aux animaux et décidé de ne plus manger de viande. C'est également un adepte forcené de la méditation bouddhiste, tendance Vipassana. Il y consacre deux heures par jour et s'offre une retraite d'un mois chaque année. "Quand on parle avec lui, on sent l'intensité de sa pensée. La méditation doit lui permettre de laisser son esprit en repos", avance Anne Michel.
Sapiens, un très gros enjeu éditorial
Coup de pouce du destin, une agente littéraire réputée de Jérusalem, Deborah Harris, tombe sous le charme du livre et veut le faire connaître à l'étranger. Penguin en achète les droits pour la Grande-Bretagne et Harper Collins pour les Etats-Unis. Deux maisons prestigieuses. En France, c'est l'agente parisienne Michèle Kanonidis qui est à la manoeuvre: "Quand je l'ai lu, je me suis dit que c'était exactement ce que nous, Français, ne savons pas faire: une grande fresque interdisciplinaire écrite dans une langue simple."
Le manuscrit est proposé aux grandes maisons parisiennes, alors que l'ouvrage n'a pas encore franchi les frontières d'Israël. "Normalement, le livre d'un jeune historien inconnu se négocie autour de 4000 euros, on peut parfois monter à 8000, mais c'est rare", confie un grand éditeur. Là, preuve que certains ont du nez, une maison parisienne tente un coup de poker: une première offre ferme à 50000 euros! Plus stupéfiant encore, l'offre est refusée!
"On a alors compris que ça allait monter très haut", soupire un concurrent. Bientôt ne restent plus que Flammarion et Albin Michel en lice. Les enchères seront "musclées", selon un témoin. Albin finit par l'emporter. Pour quelle somme? "Nous ne communiquons jamais sur les chiffres", balaie Michèle Kanonidis. Selon nos informations, le montant du chèque se serait élevé à 90000 euros. Une somme colossale, qui fait soudain de Sapiens un véritable enjeu éditorial.
Un best-seller qui fait office de manuel de culture générale
Albin Michel décide d'en confier la traduction à Pierre-Emmanuel Dauzat, respecté dans le milieu des sciences humaines, et d'en imprimer 30000 exemplaires, un tirage important pour ce type de livre. La sortie, en septembre 2015, est plutôt discrète. Quelques articles dans la presse et une apparition d'Hariri dans 28 minutes, l'émission d'Elisabeth Quin sur Arte. Le CRI (Centre de recherche interdisciplinaire) invite aussi l'historien à donner une conférence, ce qui lui confère une légitimité scientifique. Mais rien de fracassant.
Pourtant, petit à petit, bouche-à-oreille aidant, Sapiens commence à se vendre. "Je l'ai fait lire à 30 personnes au moins", s'amuse Hubert Védrine. En France aussi, des personnalités très diverses disent publiquement leur enthousiasme pour la somme de l'historien israélien: Anne Sinclair, Carlos Ghosn, la comédienne Sofia Boutella, le rappeur Oxmo Puccino, David Pujadas (qui rêvait de l'inviter au 20 heures...) ou encore l'auteur et metteur en scène Alexis Michalik. Sapiens devient tendance. Seul son de cloche dissonant, Alain Minc, qui avoue courageusement: "Ces grandes synthèses ne sont pas ma tasse de thé".
Le phénomène Harari s'installe vraiment en 2016. Le livre ne quitte plus la liste des best-sellers de L'Express. Les ventes connaissent des pics aux moments des examens universitaires: Sapiens fait office de nouveau manuel de culture générale.
Entre-temps, Yuval Noah Harari est devenu une star planétaire. C'est désormais son compagnon Itzik qui gère ses affaires et a négocié directement les droits mondiaux de son second ouvrage, Homo deus. L'historien israélien donne aussi de prestigieuses conférences rémunérées, comme en juin 2016 au carrousel du Louvre sous l'égide d'USI Events.
Mais il reste toujours cet homme un peu ascétique qui n'aime pas beaucoup les foules. Pas question, donc, d'un cocktail mondain avec champagne et petits fours, pour la sortie française d'Homo deus. Non, Yuval Harari donnera une conférence au Collège des Bernardins, à deux pas du Panthéon. Comme d'habitude, il projettera quelques images sur l'écran, commencera par un paradoxe et développera une pensée lumineuse à coups d'exemples simples. Et, comme d'habitude, la salle sera subjuguée.
"Un livre tellement actuel!"
L'auteur et metteur en scène Alexis Michalik (Le Porteur d'histoire, Edmond...) nous dit pourquoi il a tant aimé Sapiens: une brève histoire de l'humanité.
"Harari propose une sorte de vision athée de l'humanité, dans laquelle l'homme ne serait pas le centre de l'univers. Je trouve que son livre a beaucoup de résonances avec notre époque.
Par exemple, lorsqu'il explique qu'en passant d'une vie de cueilleur-chasseur nomade à une vie d'agriculteur sédentaire, l'homme a d'un seul coup travaillé beaucoup plus, et parfois même jusqu'à l'épuisement, il décrit bien nos débats sur les ravages du capitalisme. De même, il n'a pas une vision trop manichéenne de la colonisation: il reconnaît ses méfaits, mais présente aussi ses apports -par exemple, les Romains ont été des colonisateurs, mais l'Europe s'est en partie construite sur les bases qu'ils ont posées.
Evidemment, en tant qu'auteur de spectacle, j'aime aussi beaucoup la place centrale qu'il assigne à la fiction dans l'histoire de l'humanité. Pourquoi, par exemple, sommes-nous prêts à échanger une voiture contre quelques morceaux de papiers? Parce que nous acceptons une fiction qui s'appelle "argent". Harari nous rappelle que notre civilisation s'est aussi bâtie sur des histoires."
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