Voilà un sujet Ô combien délicat ! Les mots sont ici tellement chargés d'affect qu'il faut s'efforcer d'interroger sereinement l'étymologie, le passif historique et... nos propres partis pris.
Au fil des siècles et des persécutions, la langue française puis la loi ont posé des mots et des limites sur les discriminations, mais les termes "racisme" et "antisémitisme" ne remontent qu'à la fin du XIXe siècle. Et, en quelques décennies, leur légitimité a été remise en cause ! Pourtant, ils restent incontournables, parfois redondants mais surtout porteurs d'une mémoire collective. Regardons-les de plus près :
Le "racisme" est une idéologie qui présuppose d'une part que les races existent et d'autre part que certaines sont supérieures à d'autres. Or la science a depuis longtemps établi que la notion de race n'avait aucun fondement biologique ! Quant à la supériorité de certains "groupes ethnico-culturels" sur d'autres, reconnaissons que chacun a tendance à estimer sa propre identité comme plus aimable... C'est humain, tant que le mépris de la différence ne nous déshumanise pas. Le vocabulaire est aussi une convention et le mot "racisme" a survécu à la démonstration scientifique de son inanité.
Le comble de l'absurdité linguistique étant l'expression "racisme anti-jeune" : la jeunesse ne pouvant évidemment pas être décrite comme un groupe culturel ou ethnique ! Le mot juste est plutôt "xénophobe", littéralement la peur (du grec "phobos") de l'étranger ("xénos") et, par extension, le rejet de tout ce qui n'appartient pas à mon groupe identitaire.
"Antisémitisme" est construit à partir de "sémite", un terme qui décrit un ensemble de langues parlées sur une vaste zone géographique allant du Moyen-Orient à l'Afrique du Nord. L'hébreu en fait partie avec 8 millions de locuteurs, mais aussi l'arabe (240 millions) ou l'amharique (90 millions). Stricto sensu, l'antisémitisme est une discrimination à l'égard des quelque 345 millions de personnes qui parlent une langue sémite !
Par une série de glissements à la fois sémantiques et idéologiques, "sémite" s'est étendu du concept de langue à celui de peuple, puis n'a retenu que celui parlant hébreu pour finalement désigner les membres d'une même religion : les juifs. Il fallait un mot pour décrire et dénoncer la montée des persécutions qui allait culminer avec le nazisme, mais pourquoi pas "judéophobe" ou "anti-juif", plus factuels ? Le mot "antisémite" est un agrégat confus où se télescopent les notions de peuple, de langue, de nationalité et de religion! Mais le mot est entré dans l'histoire avec la Shoah. Aussi imprécis soit-il, il porte des stigmates indélébiles et reste présent dans la langue comme un devoir de mémoire tacite.
Alors, oui, l'antisémitisme est un racisme... mais, est-il comme les autres ? L'ampleur de l'extermination orchestrée par Hitler et relayée par Vichy est tellement sidérante que les mots qui la décrivent sont eux aussi hors cadre. Nous ressentons une responsabilité morale à les préserver, comme si leur effacement participait d'un déni révisionniste.
D'où des mentions redondantes : la Licra, créée en 1927, reste intitulée "Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme". La loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 (1) réprime "tout acte raciste, antisémite ou xénophobe"... D'autres "racismes" portent en eux la trace lexicale de l'histoire : la "négrophobie" ("peur des noirs") utilise ainsi le mot promu par les racistes, "nègre".
D'où ma conclusion : lançons un nouveau mot, la "phobophobie" !
(1) En complément de la loi sur la liberté de la presse du 29 Juillet 1881 qui condamne les actes racistes : injure, diffamation, provocation, violence et discrimination.
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