mercredi 12 août 2020

Qui est le plus grand danseur de tous les temps ? Mikhaïl Baryshnikov !



Voir danser Mikhaïl Baryshnikov sidère chaque fois. 

Tout en densité, à la limite du surnaturel, il remporte une constante victoire sur son corps, sur sa chair, sur la pesanteur. Ses gestes sont paroles. Et assister à cette espèce de miracle redonne presque foi en l’humanité. Moins fin que d’autres danseurs, il possède un corps assez petit (un mètre soixante-dix), râblé. Sa carrure de boxeur, avec un torse et des épaules particulièrement musclés, lui permet de rester en l’air plus longtemps que les autres, en lévitation, sans jamais entamer ni sa grâce ni son élégance. Aux côtés de Vaslav Nijinski et de Rudolf Noureev, Baryshnikov a atteint le statut de véritable génie de la danse.

 Pourtant, ce n’est pas à proprement parler un ambitieux, comme le soulignait la critique Arlene Croce. 

Tout du moins son ambition ne se concentre-t-elle pas sur les autres mais sur lui-même ; elle se déplace vers l’intime. Comme il le dit : "Je n’essaie pas de danser mieux que quelqu’un. J’essaie seulement de danser mieux que moi-même." Baryshnikov répète souvent, à la manière laconique du "je fais des westerns" de John Ford, que danser est son métier. Mais ce métier si intense, aussi physique que mental, fusionne malgré lui avec sa vie. Liza Minnelli explique en 1980 dans le magazine After Dark : "Misha prend la danse très au sérieux, mais il vous fait aussi savoir qu’il y a d’autres choses au monde. Il y a une joie absolument prenante à le regarder danser, mis à part le fait qu’il fait tout si parfaitement ! On n’arrive pas à croire qu’un corps humain puisse accomplir cela. Mais ce qui reste en tête, c’est que, s’il ne s’éclatait pas en dansant, il ne serait pas aussi bon." 


Magnifique exemple de cette joie qu’on peut ressentir en le voyant évoluer, la première séquence du film Soleil de nuit, de Taylor Hackford (1985) : un court ballet, Le Jeune Homme et la Mort, conçu par Jean Cocteau et chorégraphié par Roland Petit, où la Mort, sous les traits d’une jeune femme, séduit un peintre puis le pousse à se pendre. En sept minutes, Mikhaïl Baryshnikov éblouit de précision et de magnétisme. Dans le film, il joue Nikolai Rodchenko, un danseur russe naturalisé américain dont l’avion doit atterrir d’urgence en Sibérie. Il demande l’aide d’un danseur de claquettes américain (Gregory Hines) passé à l’Est et de sa femme interprète (Isabella Rossellini) pour échapper au KGB et s’enfuir à nouveau… Il ne faut pas oublier qu’en 1985 – on est avant la perestroïka – Baryshnikov était encore considéré comme criminel par l’URSS pour être passé à l’Ouest. Le film a donc été tourné en Finlande, et le danseur a eu le courage d’accepter de mettre en abyme sa propre histoire et sa défection aussi médiatisée que spectaculaire.

Flash-back sur le scandale. En 1974, l’étoile adulée du ballet du Kirov demande l’asile politique à Toronto, où il se produit. Ce qui signifie quitter son pays, sa famille, ses amis, se condamner à un exil permanent, à une tristesse viscérale. Mais "passer à l’Ouest", concrètement, c’est quoi ? Dans le cas de Mikhaïl Baryshnikov, c’est d’abord parler à un avocat, Jim Peterson, pendant les quelques jours de représentation de la troupe du Kirov à Toronto. Ensuite il faut faire le grand saut : courir à perdre haleine en s’élançant depuis la sortie des artistes du théâtre sur la route encombrée de fans et de circulation pour rejoindre la voiture qui l’attend plus loin. Une expérience terrifiante, traumatique, tellement absurde malgré sa réalité brutale. En 2012, interviewé par Tavis Smiley pour la chaîne publique américaine PBS, toujours aussi fascinant malgré ses 64 ans, il revient sur cette brutale fuite en avant : "Je suis parti pour des raisons sérieuses. Des raisons professionnelles et aussi bien sûr pour des raisons politiques. En 1974, il y avait une atmosphère vraiment lugubre en URSS et je m’agitais, j’en avais assez de cette doctrine communiste, des membres du parti, du KGB. J’étais prêt à faire face à un nouveau monde. J’avais 26 ans, pour un danseur c’est déjà beaucoup, je n’étais pas un enfant.

 C’était une décision spontanée. Je savais que je mettais une partie de ma famille dans le stress ainsi que tous les gens qui s’étaient portés garants de ma bonne conduite. Mais quelque chose a craqué à l’intérieur de moi. J’ai pensé : c’est maintenant ou jamais." Il n’avait rien à perdre. Le pire s’était déjà produit pour lui. Mikhaïl avait 11 ans quand sa mère s’est pendue dans la salle de bains de leur appartement communautaire. Un reflet vertigineusement tragique de son rôle dans ce Jeune Homme et la Mort qui ouvre Soleil de nuit.
Il se souvient sur PBS : "Mes parents étaient des gens honnêtes. Ma mère était merveilleuse, très simple, talentueuse, adorable ; elle m’emmenait au cinéma voir Charlie Chaplin, Fred Astaire, au musée et au ballet. Je suis tout de suite devenu accro. Les enfants sont de drôles d’animaux. J’étais un gamin heureux parce que j’étais tombé amoureux de l’univers du théâtre. Quand je suis parti de chez moi pour Saint-Pétersbourg, vers 16 ans, je savais exactement ce que je voulais faire. À 20 ans, avec du recul, j’ai réalisé à quel point cette existence en Lettonie occupée était misérable, on vivait dans un grand mensonge. Mes parents avaient été envoyés à Riga après Yalta ; ils ont passé des années dans un pays dont ils ne connaissaient pas la langue sans vraiment savoir pourquoi. Mon père, un colonel totalement stalinien, enseignait la topographie aux espions ! Quand Staline est mort, j’avais 5 ans, il a pleuré pendant des jours. Ça l’a anéanti. (...)"
"(...) Je ne pardonnerai jamais à ce pays ce par quoi mes parents sont passés, je me souviens qu’à un moment on partageait un appartement pour cinq familles ; c’était l’enfer pour tout le monde et on trouvait ça normal. Ça me sidère. En pensant à tout ça, je suis toujours très, très en colère qu’on ait menti à tous ces gens pendant si longtemps." Durant les deux premières années qui ont suivi sa défection, assoiffé de créativité après le classicisme du Kirov, il multiplie les collaborations avec des chorégraphes exceptionnels : Merce Cunningham, Martha Graham, Jerome Robbins, Glen Tetley, Alvin Ailey ou Twyla Tharp. Il tourne au cinéma, avec Shirley MacLaine et Ann Bancroft, Le Tournant de la vie en 1977 : des milliers de jeunes garçons s’inscrivent dans des cours de danse classique. L’année suivante, il devient pendant un an et demi le danseur principal du New York City Ballet alors dirigé par l’incroyable "Mr B.", exilé lui aussi, George Balanchine. 

Avant d’être engagé comme directeur artistique de l’American Ballet Theatre, où il reste jusqu’en 1989. En 2005, il lance le Baryshnikov Arts Center à New York. Cette carrière exceptionnelle est extrêmement documentée (photographies, vidéos, films…), mais malgré le forcing des tabloïds depuis son arrivée en fanfare aux USA, sa vie privée reste étrangement opaque.

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