Produit de l'impérialisme américain, Internet étendrait inexorablement sa toile sur le monde... Au-delà du fantasme, voici le récit d'une invention*.
Internet, ce réseau informatique qui relie des ordinateurs dans le monde entier, est fondé sur le principe de l'échange d'information. Né de l'initiative de militaires d'outre-Atlantique, il nourrit les fantasmes : produit de l'impérialisme américain, il étendrait inexorablement sa toile sur la planète.
Pourtant, il n'a pas surgi du néant, et sa création ne fut pas un événement fondateur. Plusieurs mutations ont été nécessaires pour conduire à l'universalité ce qui n'était initialement qu'un instrument de communication au sein de l'armée, puis entre les « mandarins », scientifiques et universitaires. Adopté aujourd'hui par les « mordus », il va peut-être, demain, tomber entre les mains des « marchands ». 1957 : l'URSS vient de remporter une bataille, en pleine guerre froide, en lançant le premier satellite artificiel mis en orbite autour de la terre, le Spoutnik. Le ministère de la Défense américaine crée alors l'Agence pour les projets de recherche avancée (ARPA, Advanced Research Project Agency) afin de renforcer les développements scientifiques susceptibles d'être utilisés à des fins militaires.
En 1962, le principe d'un réseau décentralisé de communication conçu sur le modèle d'une toile d'araignée (« web ») est lancé : il s'agit de relier en mailles chaque ordinateur à plusieurs autres. Une telle structure garantit une grande sécurité : si une connexion est défectueuse, l'information peut toujours emprunter un autre chemin : on dispose d'une hydre qui peut perdre énormément de têtes sans cesser de fonctionner. Les principes fondateurs d'Internet sont posés.
En 1969, l'ARPA confie la réalisation d'un réseau expérimental à quatre universités. ARPAnet est ainsi mis en œuvre à l'université de Los Angeles, avant que des noeuds supplémentaires y soient ajoutés, toujours dans l'Ouest, à Stanford, Santa Barbara et Sait Lake City.
Petit a petit, d'autres institutions américaines, comme le MIT (Massachusetts Institute of Technology) ou la NASA, se connectent à ARPAnet. Parallèlement, prolifèrent d'autres réseaux d'ordinateurs, fondés sur des codes de communication très différents les uns des autres.
La nécessite d'adopter un langage commun se fait de plus en plus sentir. Lors d'une conférence sur les communications informatiques tenue à Washington, en 1972, l'informaticien Vinton Cerf prend, à vingt-neuf ans, la tête de l'InterNetwork Working Group (INWG) afin de répondre à ce redoutable défi : créer un protocole permettant à tous les ordinateurs de se relier entre eux. Ce sera bientôt chose faite avec le TCP (Transmission Control Protocol), dont le Pentagone accepte qu'il soit placé dans le domaine public. La gratuité d'utilisation du TCP lui permet de devenir, de fait, le code d'accès commun dont Internet avait besoin pour se développer.
Les universitaires s'emparent alors de cet outil et développent la messagerie électronique. Son usage s'impose très vite. Travail de groupe, communication rapide de notes, bavardages sans but : le réseau qui commence à regrouper la communauté scientifique mondiale devient le lieu d'échange et de publication de la science fondamentale. C'est de cette manière que les cartes du génome humain ont été diffusées dès leur découverte. De cette origine universitaire, reste l'importance accordée à l'information. Le théorème de base qui gouverne Internet pourrait être : « Sur le réseau, quelqu'un doit avoir la réponse à la question que je me pose. »
Confiné au monde universitaire, le développement de l'Internet reste inaperçu jusqu'aux années 1990, d'autant que l'utilisation de la messagerie ou l'accès aux bases de données nécessitaient un vocabulaire ésotérique. En 1989, l'arrivée de l'« hypertexte » rend enfin le réseau accessible au plus grand nombre. Qu'est-ce que l'hypertexte ? Dans sa forme la plus rudimentaire, ce système est comparable à celui des renvois en bas de page : il s'agit d'un texte qui donne accès à d'autres textes situés au même endroit ou dans les mémoires d'autres ordinateurs éparpillés à travers le monde.
Un logiciel pour garder la mémoire ?
Deja, dans les années 1960, Ted Nelson, artiste et informaticien visionnaire, affligé d'un syndrome psychologique affectant les capacités d'attention, avait cherché à mettre au point un système s'appuyant sur ce principe. Nelson, qui perdait régulièrement le fil de ses pensées, imagina un logiciel l'aidant à pister les voies qu'empruntait son cerveau.
Il baptisa ce logiciel Xanadu, du nom du palais de l'empereur mongol du XIIIe siècle, Ku Bilai Khan, et emblème, dans son esprit, d'une idéale « bibliothèque universelle » où l'esprit pourrait naviguer à volonté.
C'est lui qui inventa le terme « hypertexte », en 1965 ; mais ce n'est que vingt ans plus tard que naît le World Wide Web. Il permet d'établir des liens entre documents de toute nature : texte, image, son et vidéo, très éloignés géo-graphiquement, linguistiquement et temporellement. La simplicité d'utilisation de ce système lui a permis de se développer d'une manière exponentielle : au rythme des nouvelles connexions, toute la population mondiale serait branchée sur Internet... en l'an 2004 !
Le succès du Web est aujourd'hui tel que la tentation d'en tirer profit semble irrésistible. La guerre des deux grandes sociétés d'informatique, Microsoft et Netscape, pour la maîtrise des logiciels de navigation sur le Web ou le « conflit du terminal », certes encore feutré, entre ordinateur multimédia et téléviseur numérique, ne sont que les prémices de l'évolution probable d'Internet.
Dans le futur « âge des marchands», le défi posé à Internet sera de rester un lieu et un moyen de connaissance. D'autant plus que d'autres facteurs menacent à présent le Web. Tout d'abord, la saturation. Depuis 1992, le trafic a connu une croissance réellement exponentielle, dont le volume des échanges double chaque année - d'où les problèmes d'embouteillage que les utilisateurs d'Internet connaissent bien : lorsque le réseau est proche de la saturation, une nouvelle connection peut entraîner la perte de messages.
Par ailleurs, les caractéristiques d'Internet, réseau décentralisé qui se joue des frontières et des normes nationales, et dans lequel circule de l'information totalement dématérialisée, en font un « objet juridique non identifié » exposé à tous les soupçons.
Ce n'est plus un « grand secret » qu'un livre interdit en France peut être tout de même accessible...
Enfin, parce que la technologie évolue beaucoup plus vite que la société et que l'on commence, à peine vingt-cinq ans après son invention, à considérer Internet comme un espace (le cyberspace), et non plus uniquement comme un outil, il y aura - il y a déjà - des pressions considérables pour le réglementer, au risque de brider le potentiel considérable de ce nouveau continent numérique et de battre en brèche la devise des internautes : liberté, égalité, interactivité.
"Gilles Bauche vient de publier Tout savoir sur Internet, Paris, Arléa, 1996.
LES MOTS D'INTERNET
HYPERTEXTE
Ce terme, inventé par Ted Nelson, désigne un système non linéaire de recherche et de consultation de documents qui contiennent des liens établissant des correspondances avec d'autres documents. Toute l'organisation du Web se fonde sur la notion d'hypertexte. Les hypertextes sont d'une couleur particulière pour être facilement identifiables et ils changent de couleur une fois utilisés.
INTERNET
Réseau mondial d'ordinateurs qui repose sur l'idée de fédérer, grâce à une norme commune appelée TCP/IP, tous les ordinateurs par le réseau téléphonique mondial.
LOGICIELS DE NAVIGATION
Logiciel utilisé pour accéder aux documents qui se trouvent sur le Web. Il existe des logiciels de navigation en mode texte ou en mode graphique. Le plus célèbre d'entre eux est Netscape, utilisé par 80 % des internautes. Mais le logiciel exploreur de Microsoft pourrait devenir un concurrent redoutable de Netscape.
WORLD WIDE WEB (WEB, WWW, W3)
Littéralement, toile d'araignée mondiale. Désigne un système hypermédia permettant d'accéder facilement aux ressources d'Internet. L'utilisateur peut télécharger des fichiers, écouter des fichiers audio, regarder des fichiers vidéo et passer d'un site Web à un autre en cliquant sur des liens hypertextes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire