Téhéran, vendredi 24 juillet. Une explosion déchire le nord de la ville, là où vivent de nombreux hauts gradés et dirigeants de l’IRGC.
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Une explosion suivie d’un incendie s’est produite le 24 juillet au nord-est de Téhéran, près du complexe résidentiel de Shahid Daghayeghi, où vivent de nombreux hauts dirigeants du Corps des gardiens de la révolution (IRGC), une organisation classée terroriste par le président Trump, et où une cérémonie de deuil a eu lieu pour Qassim Soleimani.
Puis samedi 25 juillet, les habitants de l’île de Qeshm, dans le sud de l’Iran, ont rapporté le bruit d’une explosion juste après 22 heures.
Chronologie des événements
- 25 juin 2020, il est midi. Une série d’explosions se produit près du complexe militaire de Parchin, à 30 km de Téhéran où se trouve une usine de production de missiles.
Une explosion massive frappe un système de tunnels souterrains du groupe industriel Shahid Bakeri à l’usine de missiles Khojir.
Le Centre d’études stratégiques et internationales avait identifié Khojir comme étant un « site de nombreux tunnels, dont certains sont soupçonnés d’être utilisés pour l’assemblage d’armes ».
L’installation est également proche du complexe militaire de Parchin, un nom plus familier en raison des rapports de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), et un endroit qui est dans l’esprit des services de renseignements américains et israéliens depuis plus de 20 ans car ils pensent que l’Iran y a mené des activités nucléaires illicites dans le passé, y compris des tests de déclencheurs d’explosifs qui pourraient être utilisés dans des bombes atomiques. - Dans l’heure qui suit, ce même vendredi, une « panne électrique » (en réalité, une explosion) touche le sud de la ville de Shiraz, à 900 km au sud, où se trouvent d’importantes installations militaires.
- Le 30 juin, une explosion se produit à la clinique Sina At’har dans la capitale Téhéran, tuant 19 personnes dont 15 femmes et 4 hommes.
- Le 2 juillet, une explosion frappe la plus grande installation d’enrichissement nucléaire d’Iran, dans la ville de Natanz. La plupart des centrifugeuses utilisées pour l’enrichissement de l’uranium sont détruites. Les images satellites montrent un cratère de 10 mètres de diamètre. Les bâtiments sont totalement détruits.
Quelle est la cause de l’explosion ? Une bombe bien placée, un missile de croisière, une cyber-attaque ou un simple accident, bien que le New York Times ait rapporté que les enquêteurs iraniens se sont rapidement accordés sur la première possibilité comme étant la plus probable – sans accuser Israël. - Le 3 juillet, un grand incendie a éclaté dans la ville de Shiraz, capitale de la province du Fars.
- Deux jours plus tard, le 4 juillet, une explosion frappe la centrale électrique de Shahid Medhaj Zargan dans la ville d’Ahvaz.
- Le même jour, 70 personnes sont blessées suite à une fuite de chlore gazeux au centre pétrochimique de Karun dans la ville de Mahshahr, près d’Ahvaz.
- Nous sommes le 7 juillet. 2 personnes trouvent la mort, 3 autres sont blessées suite à l’explosion d’une usine d’oxygène dans la ville de Baqershahr, au sud de la capitale. L’usine se trouve près de l’entrepôt où des archives sur le programme nucléaire iranien ont été volées lors d’un raid des agents des services de renseignement israéliens en 2018.
- Le 9 juillet 2020, quatre explosions ont été entendues à la garnison de l’Imam Hassan Mojtaba et à la garnison Islam Aerospace à Garmdareh, dans la province d’Alborz, dans la partie ouest de Téhéran. Les explosions ont détruit une installation et un entrepôt de missiles appartenant aux gardiens de la révolution, une unité de recherche et de fabrication d’armes chimiques, et un site de production d’armement non identifiés.
- Le 11, une explosion de gaz survient dans un immeuble résidentiel de Téhéran. Il y a un blessé.
- Le 12 juillet 2020, une explosion atteint l’usine pétrochimique de Tondgooyan, dans le sud-ouest.
- Ce même jour, des transformateurs électriques d’un département d’électricité, dans la rue Enghelab, près de la place Ferdowsi de Téhéran, prennent feu.
- Le 13, c’est un complexe industriel situé près de la ville de Mashad, au nord-est du pays, qui est touché par une explosion où sont supposés se trouver les réservoirs de stockage des condensats de gaz. Selon le chef des pompiers, six réservoirs de stockage ont pris feu et un a explosé.
- Toujours le 13 juillet, plusieurs incendies sont également signalés dans le parc forestier de Shian, dans l’est de Téhéran, et au bazar de Shahid Motahari à Najafabad, Ispahan.
- Le 15 juillet, des incendies éclatent dans un chantier naval de Bushehr, dans le sud de l’Iran, endommageant au moins sept navires.
- Le même jour, un incendie se déclare au complexe d’aluminium de Lamard, dans la province de Fars.
- 18 juillet 2020, une explosion est signalée dans un oléoduc pétrolier dans la ville d’Ahvaz, au sud-ouest du pays.
- Le 19 juillet 2020, une explosion touche une installation électrique dans la province d’Ispahan. Il n’y a aucun blessé.
- Quelques heures plus tard, une autre explosion. Cette fois, près de la centrale thermique de Tabriz’s Shams.
- Le 24 juillet, une explosion suivie d’un incendie secoue Téhéran.
- Samedi 25 juillet, les habitants de l’île de Qeshm, dans le sud de l’Iran, ont rapporté le bruit d’une explosion juste après 22 heures.
Hypothèse israélienne
Le rapport suivant (1) a fait le tour de la Terre et a été accepté à peu près partout sans aucun sens critique ni aucune réticence.
Un ancien fonctionnaire israélien anonyme, et un responsable des services de renseignement de l’Union européenne, lui aussi non nommé, affirment qu’Israël est derrière certaines des attaques, car son objectif est de provoquer une confrontation avec l’Iran, avant que Trump perde l’élection en novembre, étant entendu que l’administration Biden ne donnera jamais le feu vert à des opérations militaires israéliennes ou américaines contre l’Iran.
En réalité, rien n’est sérieux dans cette théorie parce qu’elle repose sur une suite d’hypothèses. C’est la raison pour laquelle vous ne trouverez pas sur Dreuz ce genre « d’informations » que vous lisez pourtant partout. Dreuz, contrairement aux médias traditionnels, ne fait pas dans la spéculation.
- « Un ancien fonctionnaire israélien » et un « responsable des services de renseignement de l’UE » : qui sont-ils ? On ne sait pas. Existent-ils seulement ? Et s’ils existent, pourquoi gardent-ils l’anonymat ? Ils disent être informés que les attaques sont israéliennes : Israël diffuse ce genre d’information top secrète à « d’anciens fonctionnaires », et à des « responsables européens » ? Qui peut croire cela. S’ils existent et s’ils ont diffusé cette information, quelle est leur motivation ? Pas pour soutenir Israël, plutôt l’inverse. Et donc, peut-on accorder du crédit à deux sources hostiles à Israël qui diffusent anonymement des informations qui nuisent à l’Etat juif ?
- « L’objectif est de provoquer une confrontation avec l’Iran » : c’est une accusation extrêmement sérieuse. Les deux sources anonymes présentent-elles des arguments ? Des preuves ? Des éléments factuels ? Rien. Une accusation aussi grave sans la moindre preuve ? Sérieusement ? Les deux sources, en réalité, se contentent d’exprimer une opinion, qui n’est rien d’autre qu’une supposition. Et que l’histoire fait passer pour un fait grâce à un jeu de mots bien choisis.
- « Des opérations militaires avant que Trump perde l’élection de novembre ». Encore une spéculation. Bien malin qui connaît l’issue du scrutin du 3 novembre.
- Dans le climat actuel, à 100 jours de l’élection, le président Trump déclencherait une offensive militaire contre l’Iran ? Il voudrait donc un suicide politique et perdre l’élection ? N’oublions pas que le président a été élu sur la promesse que l’Amérique devait cesser d’intervenir militairement dans les conflits du Moyen-Orient, et se retirer d’Afghanistan. Et Trump n’a cessé d’agir en ce sens pendant son mandat.
- Israël est soupçonné d’avoir conduit des opérations contre l’Iran pendant le mandat d’Obama. Il n’a certainement pas donné son accord ! Cela veut dire qu’Israël n’attend pas le feu vert des Etats-Unis pour se protéger. S’il n’a pas cru devoir demander la permission à l’hostile Obama pour détruire les turbines nucléaires, pourquoi Netanyahou devrait penser qu’il aura besoin de l’accord du mollasson Biden ?
Hypothèse non israélienne
Le New York Times, le média de gauche le plus anti-israélien et anti-Netanyahou au monde – pire que les malhonnêtes médias français, et qui est toujours le premier à mettre Israël dans l’embarras, contredisait totalement la thèse de la provocation, et exonérait Netanyahou, dans un article du 29 juin dernier (2).
Voici ce que les journalistes David Sanger, Ronen Bergman et Farnaz Fassihi écrivaient – et encore une fois, il s’agit d’un média radicalement anti-Israélien :
Deux services de renseignement israéliens qui opèrent en dehors des frontières d’Israël, le Mossad et l’unité de renseignement des Forces de défense israéliennes, ont déclaré qu’ils enquêtaient sur l’épisode [du 25 juin] et n’avaient pas encore tiré de conclusion définitive sur la question de savoir s’il s’agissait d’un accident ou d’un sabotage.Mais plusieurs responsables ont insisté sur le fait qu’Israël n’était pas impliqué.…/…Les responsables américains ont également déclaré qu’ils doutaient qu’il s’agisse d’une opération de sabotage [israélien].…/…Ronen Solomon d’IntelliTimes, un blog de renseignement, qui a été parmi les premiers à identifier le site des missiles Khojir comme étant le site de l’explosion, a noté qu’il a fait « peu de dégâts ».Mais il a noté que c’était « une vaste installation » et qu’en tant que membre du groupe industriel Shahid Hemmat, elle a été la cible de sanctions économiques américaines.Si l’explosion était un acte de sabotage, ont noté certains analystes, elle a été soigneusement conçue pour ne pas susciter de représailles, car les dommages étaient si minimes.
Tout le monde accuse Israël, sauf l’Iran
- Immédiatement après l’explosion du 25 juin, un porte-parole du ministère de la Défense iranien a déclaré que l’explosion était accidentelle et concernait des réservoirs de gaz industriels.
- Selon le maire adjoint de Téhéran, l’explosion du 30 juin a été causée par une fuite des réservoirs de gaz médicaux dans le bâtiment.
- Concernant l’explosion du 7 juillet, IRIB, la chaîne officielle de la République islamique d’Iran a déclaré que « l’erreur humaine » était la cause de l’explosion.
- Suite aux explosions du 9 juillet, les fonctionnaires iraniens ont nié toute explosion, ont admis que l’électricité avait été coupée dans la région à cause d’un accident dans une installation de bouteilles de gaz.
- Concernant l’explosion du 12, les officiels Iraniens ont déclaré que l’explosion s’était produite en raison du temps chaud.
- Le 13, l’agence de presse Mehr a déclaré que l’explosion s’était produite à cause d’un réservoir de stockage de condensats de gaz, et que la police enquêtait sur la cause.
Je vous épargne les autres déclarations, elles sont toutes du même tonneau.
Ce sont des faits. Etrangement, les faits n’intéressant plus les médias, ils ont décidé de ne pas en tenir compte dans leurs théories, et préfèrent parler de provocations à des représailles iraniennes. Pourtant, dans tous ces incidents, les responsables iraniens ont tenté de minimiser l’impact et de rejeter une éventuelle implication israélienne, y compris concernant Natanz, où la main d’Israël trouverait toute sa justification.
Pourquoi l’Iran nie toute intervention d’Israël ?
Mohammad Ismail Kowsari, ancien commandant opérationnel de la base Sarollah des Gardiens de la Révolution à Téhéran, a fait une remarque qui permet de mieux comprendre le contexte :
« Il est possible que le régime sioniste veuille être perçu comme celui qui a effectué l’explosion sur le site nucléaire [de Natanz]… mais ce n’est rien d’autre que de la propagande ».
Il peut paraître étrange que l’Iran cherche à nier l’intervention israélienne alors que, dans le passé, les mollahs ont blâmé Israël pour presque tout ce qui se passe dans leur pays, du changement climatique aux catastrophes naturelles comme la sécheresse et à l’inverse les inondations, en passant par les tremblements de terre, la pauvreté, la crise économique et même la corruption des dirigeants.
Alors pourquoi les Iraniens minimiseraient-ils l’ampleur des événements et nieraient-ils l’implication d’Israël ?
- La première raison et la plus plausible : éviter l’embarras. Admettre que la plupart des explosions du pays aient pu être dirigées par Israël, c’est reconnaître que la sécurité du pays n’est pas assurée, que l’Ayatollah a perdu le contrôle de ses frontières, qu’il est incapable d’arrêter Israël, que l’Etat a profondément infiltré ses structures, ses administrations, et probablement les groupes anti-gouvernementaux, et cela ferait passer le régime et ses institutions de sécurité, dont le pays est très fier, pour complètement impuissants, incompétents et fragiles aux yeux non seulement du peuple iranien, mais surtout de ses ennemis sunnites dans les pays arabes voisins.
- La seconde est d’éviter de tomber dans le piège de la provocation dont parlent les officiels anonymes, européens et israéliens.
Les Iraniens, réputés bons joueurs d’échecs, s’ils peuvent penser que ces explosions représentent une incitation aux représailles, vont bien entendu s’abstenir de réagir. Mais à l’inverse, Israël, qui n’est pas connu pour être particulièrement stupide, anticipe forcément que les Iraniens flaireraient un piège tendu. - Des représailles iraniennes, dans le contexte du coronavirus et de la grave crise économique – merci Trump – qu’ils traversent, risqueraient une escalade incontrôlée et une guerre totale avec Israël et les États-Unis – un résultat que l’Iran veut éviter à tout prix.
- Par ailleurs, il ne fait aucun doute que l’Iran, tout comme la Chine, la Corée du Nord, Cuba, le Mexique, le Venezuela et plusieurs pays européens, joue le temps : s’ils pensent que le président Trump va perdre les prochaines élections, ils savent déjà que Joe Biden reviendra à l’accord nucléaire, lèvera les sanctions contre l’Iran, et permettra aux acteurs de l’axe du mal de se refaire une santé.
En fin de compte, étant donné le silence des Iraniens, on peut s’attendre à davantage d’incidents sur les sites militaires et nucléaires sensibles.
Conclusion
Le scénario de la provocation israélienne ne tient donc pas debout : il a été évoqué et publié après que l’Iran se soit bien gardé d’accuser Israël. Pourtant, c’est celui que les médias ont retenu. Ce qui ne veut pas dire qu’Israël n’est pas derrière certaines des explosions qui déchirent l’Iran depuis juin – mais certainement pas celle d’une clinique.
Le programme de missiles iranien a longtemps été la cible des services de renseignement israéliens, parce que la cible de leur programme qui n’existe pas est de rayer l’Etat juif des cartes et de faire un second holocauste. Mais Israël n’est pas le seul pays visé par la menace nucléaire iranienne : l’Arabie saoudite est en première ligne, et elle aussi a beaucoup à gagner si le régime des mollahs est déstabilisé.
« Tout le monde peut nous suspecter de tout et tout le temps, mais je ne pense pas que ce soit correct », a déclaré le ministre de la Défense Benny Gantz dans une interview radiophonique début juillet.
Mais est-ce vraiment du bon journalisme que de spéculer sur ce qu’on ignore totalement ?
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Jean-Patrick Grumberg pour Dreuz.info.
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