vendredi 26 juin 2020

Noms corses et patronymes juifs d’Italie...


« La seule science dont s’occupent les Corses est celle des généalogies », écrivait Gabriel Feydel dans Mœurs et coutumes des Corses  en 1799 dans un rapport adressé aux membres du Directoire. Ils partagent cette passion généalogique avec les juifs.
Les Juifs qui vivent en Italie au XVIe siècle sont là depuis toujours pour certains, d’autres sont des Juifs ashkénazes qui, surtout au XIVe siècle, ont quitté l’Allemagne pour l’Italie, des Juifs français qui durent abandonner la France, et à la fin du XVe siècle et au cours du XVIe, et enfin ceux arrivés avec l’émigration sépharade d’Espagne à Gênes après 1492 puis Livourne au XVIIè siècle. Ils vont se fixer en Italie, chassés de ville en ville ou fuit vers l’empire Ottoman puis plus tard pour certains vers la Tunisie (granas)
 Des contacts avec l’Orient ont toujours existé, particulièrement à Venise et en Italie du Sud. On trouvait souvent trois synagogues dans une même ville — la scola italiana, la scola tedesca (allemande), la scola spagnola. A Gênes au XVIè siècle les juifs parlent l’espagnol dans une ville où l’on parle le toscan.
La fragmentation du judaïsme italien à la Renaissance, Rome n’est pas l’Ombrie, Milan ou Gênes,Sienne ou de Volterra, les ghettos à partir de celui de Venise en 1516 et Gênes en 1660 rendent les généalogies complexes.
Tandis que sur le continent les noms de famille sont déjà fixés ils ne se généralisent que bien plus tardivement en Corse. à partir de 1769 sauf pour les immigrés et les notables. Pour cent noms de famille corses, parmi les plus fréquents, on trouvera soixante-dix huit prénoms (Arrighi = Enrico, Taddei = Thaddée, Mattei,= Matthieu, Matinetti = Martinu, Martin, Sabiani= Sabin, Bartoli = Bartholomée, Ceccaldi = Hypocoristique de Francesco, Nicolai...), seize noms de lieux, cinq surnoms et seulement un nom de métier. 80 % des noms de famille corses se retrouvent en Italie. 
Les actes de baptême, de mariage et de sépulture étaient rédigés en latin et sont très peu nombreux.  La généralisation des noms de famille commence avec le recensement de 1769 réalisé par l’administration royale de Louis XV. Les noms ont été alors toscanisés… on a ajouté des trémas inconnus : Nicolaï. Un « Jacques » latin « Jacobo » Giacomo en italien, a pu devenir « Jacobi », ou Giacobbi. Diffiicile à savoir.
Des nombreux patronymes parfois très anciens en Corse apparaissaient parmi les noms juifs répertoriés en Italie du Nord : 
les Angelini, Bianchi, Bianchini (Biancarelli en langue corse),Colombo (Devenu Colombini, Colombani en Corse), Colonna, Falco, Falcone, (devenuForconi en Corse du sud), Gentili, Guglielmi, Leoni, Marchetti, Mariani, Marini, Massa, Morelli, Olivetti, Padovani, Paoli, Poggio/Pogioli (« petite montagne » noms trés répandu en Ligurie et en Lombardie), Polacci (polonais), Quercioli, Raffaelli, Rocca, Romano/ Romani, Rosselli, Rossi, Sanguinetti, Serra, Susini (Susani, Susin en italie), Torre, Ventura, Vitale, Vitali, Zanotti… sont bien connus en Corse. Massa (comme Petro Massa) le reconstucteur de Porto-Vecchion en 1569, est un patronyme porté en Corse et par des familles juives en Italie du nord. Il apparaît sous la forme Mazza en Calabre. Des patronymes juifs liés à des villes comme Pisa, Parma, Parmero, comme celui de son compèreGiacobo Parmero sont courants en Italie.
Les Foa (qui signifie « foi » ou « Foy ») , Foata, les Figari bien connus en Corse apparaissent dans les archives de Gênes:
Sanguinetti est le nom d’une puissante famille de banquiers du XVIIIème siècle dont une rue du Ghetto de Modène porte encore le nom. Abraham et Aaron Sanguinetti sont membres de la corporation des filatures de soie de Modène en 1750. Moisè Sanguinetti est un des chefs de la communauté à l’époque.
Certains noms sont des italianisations directes de l’hébreu comme les Mochi (« intelligent » en hébreu) qu’on trouve chez les juifs du Liban (voir au dessus et ici), les Guidici, Del Giudice, un nom de famille juive bien connu en Calabre. Les Giudici sont les Dayanim (juges), lesGentile sont les gentils, c’est à dire les non-juifs pour un juif.
Le nom Cervi courant en Italie du nord et dans le village de Lévie en Alta Rocca désigne un cerf, ll est peut-être la traduction de l’hébreu Nephtali classique dans le judaïsme italien. Les Sansoni, Sansonetti, se réfèrent auSamson biblique tout comme les Giacobbi ou Simenoni.

 Les Pace ou Pacifici  (un nom juif d’Italie de Livourne) ou Pacini répandus dans le su de la Corse peuvent être la traduction deShalom mais aussi les paceri (hommes de paix) institués par la Constitution de Paoli en 1755 qui faisaient la paix entre les famille lors des vendettas… Santelli, Santoni peuvent avoir une origine juive (qadosh, sanctifié), c’est  aussi le prénom Santo (saint) répandu dans le Lazio et en Calabre, mais le judaïsme hésite  à « sanctifier » autre chose que D… mais des annoussim s’appellent bien Kadouch et des juifs italiens s’appellent bien Evangelisti…Les Moro, Mori, Moretti ce sont les bruns mais aussi des patronymes juifs d’Italie bien connus.

Registres corses
Certains noms très répandus en Corse comme celui des Memmi qu’on retrouve à Tunis, probablement d’origine livournaise, proviennent directement d’Espagne : Le grand rabbinShimon Meimi originaire de Ségovie fut torturé à mort à Lisbonne en 1497 avec toute sa famille car il refusa la conversion que lui proposait le roi Manuel, alors qu’il était enfermé avec 10 000 autres juifs sans nourriture et sans eau et que seuls 40 résistèrent. Samul Usque, en accord avec les sources chrétiennes, raconte que les juifs furent trainés par les cheveux et la barbe dans les églises pour être oints d’eau et baptisées de force. Certains se suicidèrent en se jetant par les fenêtres de l’édifice des Estaus ou en se jetant dans des puits. Memmi signifie « mon fils » en langue berbère.
Parfois le nom est un prénom comme Donat. Un nom de famille très répandu en Corse comme les Donati est aussi très répandu dans la communauté juive de Modène où l’on trouve unDonato Donati né à Bolzano en 1550, marchand et blanchisseur, fils de Samuel Donati et frère d’Abraham Donati de Vérone. La tombe de la famille se trouve au cimetière israélite de Modène.
L’équation nom de famille = religion doit cependant être maniée avec prudence et croisée avec d’autres sources. De nombreux Jacobi de la Renaissance n’ont rien de juif les juifs ne sont évidemment pas les seuls à avoir reçu comme on en trouve en corse des prénoms, des réalités de la nature (Branca, « la branche » nom de famille de ma grand-mère, ou toponymiques :Valli : « ceux de la vallée », Muratelli, « ceux du village aux petits murs »), de métiers (Forconi : « le fauconnier ») ou des noms de caractéristiques physiques (Biancarelli : les blonds).
Il n’en reste pas moins vrai que les familles Blanca – Blanca, Branco- Branca sont parfaitement connues parmi les exilés d’Espagne et que c’est peut-être l’origine de ce patronyme en Corse. Les Blanco (« Blanc », Laban en hébreu) viennent d’ Alburquerque(devenu un nom répandu en Turquie) et de Galice en Espagne, des régions à la frontière du Portugal. Les Blanco/ Blanca de la province de Salamanca sont devenus Branco/ Branca en fuyant vers le Portugal. 
Ce n’est pas parce que le nom Rossi est fortement implanté dans la communauté juive d’Italie (Azaria (Benaiuto) di Rossi, dit Azarya min HaAdoumim est un des plus grands intellectuels juifs de la Rennaisance) qu’on peut immédiatement en déduire que les centaines de milliers d’Italiens et de corses qui portent le nom de famille Rossi ou Rosso sont tous des juifs ou d’origine juive. Juifs et chrétiens ont suivi des chemins identiques dans la formation des patronymes à la fin du Moyen Age.
Cependant à l’exception des noms judéo-espagnols terminés en ES et en EZ (Alvarez, Diaz, Dominguez, Fernandez, Gomez, Gonzalez, Hernandez, Lopes, Lopez, Rodriguez, Sanchez,  …) typiques des réfugiés de la péninsule ibérique et absents en Corse présents dans les communauté italiennes, on trouve de trop nombreux noms du judaïsme italien pour ne pas soupçonner une immigration juive en Corse à la fin du Moyen-Age au moment de l’exil des sefardim d’Espagne via Gênes comme je l’ai déjà montré.
Chaque fois que je me trouve dans une ville italienne, j’essaie d’imaginer si, et comment, les Juifs y ont vécu. Je connais très bien certaines de ces villes. J’ai passé de nombreux étés dans la paix de la belle ville de Spoleto, en Ombrie. En me promenant dans ses rues, je peux reconstruire sans difficulté l’histoire de Spoleto depuis l’époque de Hannibal. Mais quand je pénètre dans la petite rue médiévale qui aujourd’hui s’appelle Via San Gregorio alla Sinagoga, je suis déconcerté. À quel moment la synagogue qui s’y trouvait cessa-t-elle d’être une synagogue? Le nom de la rue indiquerait-il que l’église de San Gregorio a été construite sur la synagogue? Et où sont les descendants des célèbres docteurs juifs de la Renaissance à Spoleto, parmi lesquels il faut citer David de’ Pomis, l’auteur du dictionnaire hébreu-latin-italien Zemah David, «La descendance de David», dont je me servais quotidiennement dans mon enfance? Actuellement à Spoleto vit une seule famille juive, originaire de Rome. Je devrais peut-être ajouter qu’il y a deux ou trois ans, j’ai appris qu’un couple d’artistes juifs américains avait essayé de gagner leur vie en ouvrant un bar à sandwichs à Spoleto. J’espère que la chance leur a souri. (Arnaldo Momigliano)
On retrouve ces noms des juifs d’Italie dans le livre de Samuele Schaerf, I Cognomi degli Ebrei in Italia, Casa editrice « Israël », Firenze 1865-1925, 1925, voir quelques noms sur ces sites :
Voir aussi plus largement :

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