jeudi 21 mai 2020

Violences et absurdités à Jérusalem de 1948 à 1967............................


Une carte dessinée à la main a provoqué des tensions dans la capitale divisée depuis 19 ans, entraînant fusillades, jets de pierres ... et une explosion dans une salle de bains..


En tant que touriste adolescent visitant Jérusalem au milieu des années 60, je trouvais les panneaux « Danger – Frontière » et « Tireurs d’élite [à proximité] – restez en dehors du milieu de la rue » plutôt superflus. Qui ne ferait pas profil bas quand, en plein centre de la ville sainte, des soldats jordaniens se tiennent prêts à tirer ?
Pendant 19 ans, de 1948 à 1967, Jérusalem a été coupée en deux le long d’une ligne arbitraire appelée « kav ironi » (ligne urbaine). Cette partition a été marquée par des tensions et des absurdités, car elle a divisé des quartiers, des rues et même des maisons en leur milieu. Les Juifs ont été expulsés de leurs maisons et de leurs synagogues dans la Vieille Ville, et le mur Occidental sacré était officiellement inaccessible.
Pendant cette période, des centaines de personnes des deux côtés ont été blessées par des jets de pierres. Et de temps en temps, un Israélien était abattu par ce que les Jordaniens excusaient comme une psychose momentanée de la part d’un soldat (c’est la source du terme « résident psychotique » ou, en hébreu, hameshuga hatoran).

Yom Yeroushalayim, qui se tient cette année jeudi et vendredi, célèbre la réunification de la ville sainte il y a 53 ans. Ce n’est pas un mauvais moment pour rappeler ces années frustrantes où Jérusalem a été divisée.
Des soldats israéliens se trouvent à la résidence du gouvernement dans la Vieille Ville de Jérusalem après avoir pris la partie jordanienne de la ville dans de violents combats, le 6 juin 1967. Le bâtiment était autrefois le siège des hauts-commissaires britanniques à l’époque du mandat britannique en Palestine et, plus récemment, le siège des inspecteurs des Nations unies chargé de la surveillance de la trêve. (AP Photo/Israel Army)
Le « résident psychotique » a créé un certain nombre d’incidents qui ont eu une fin tragique, notamment le massacre de quatre archéologues dans le kibboutz Ramat Rachel en 1956.

Comme un rocher

Un autre événement bouleversant a eu lieu le 4 juillet 1962. Au début de la guerre d’Indépendance, Israël a conquis le mont Sion. Mais la Vieille Ville fortifiée, occupée par la Jordanie, n’était plus qu’à quelques dizaines de mètres. Afin de garder un pied de leur côté de la frontière, les forces israéliennes patrouillaient régulièrement dans une petite ruelle entre la montagne et les murs de la Vieille Ville.
Dans un de ces moments que les Jordaniens aimaient à qualifier de « fous », un soldat jordanien a tiré, et tué, le capitaine Avshalom Sela, commandant de l’unité qui patrouillait près du coin sud-ouest des remparts.
Une vue du Mont Sion depuis la place du moulin à vent de Mishkenot Sha’ananim. (Shmuel Bar-Am)
Le nom de famille du capitaine Sela se traduit en hébreu par « rocher ». Ce n’est donc pas un hasard si le mémorial du capitaine, qui se préparait à entrer à l’université après son service, est un grand rocher lisse qui s’étend sur les pentes du mont Sion.
Mais ce n’est pas un Jordanien « fou » qui a tué le lieutenant-colonel George Flint sur le mont Scopus, une hauteur au nord de Jérusalem qui jouissait d’un statut spécial douteux en tant que zone démilitarisée par Israël.
Le 26 mai 1958, des soldats jordaniens ont tiré sur des Israéliens en patrouille dans le jardin botanique du mont Scopus. Les Jordaniens ont refusé d’arrêter de tirer le temps que les Israéliens évacuent leurs blessés, gisant à l’air libre, vers un hôpital.
Finalement, un cessez-le-feu a été annoncé. Immédiatement, George Flint, le directeur canadien du comité de cessez-le-feu jordano-israélien, s’est courageusement dirigé vers les blessés. Bien qu’il portât un drapeau blanc, il a été assassiné de sang-froid par des balles jordaniennes.
Il avait l’intention de rentrer chez lui à la fin de l’année et de publier un livre sur ses expériences en Palestine. Le titre qu’il avait prévu pour son ouvrage : “Blessed are the Peacemakers”, [Bénis soient les artisans de la paix].
La tour de garde, ou shomera, dans le jardin botanique du Mont Scopus est un mémorial au lieutenant-colonel George Flint et aux quatre Israéliens qui sont morts lors d’une attaque sur le site. (Shmuel Bar-Am)
Il y a des milliers d’années, un fermier israélite a construit une tour de guet – « shomera » en hébreu – dans ses champs. Esaïe 21:8 : « Seigneur, je me tiens continuellement sur la tour de guet pendant le jour, et je suis posté chaque nuit à mon poste de garde ».
C’est pourquoi la shomera à deux étages qui se trouve dans le jardin botanique du mont Scopus est un mémorial qui s’avère si approprié à George Flint et aux quatre Israéliens qui sont morts lors de cette attaque injustifiée.

Une carte floue

Entre les guerres de 1948 et 1967, les tensions ont souvent atteint de nouveaux sommets ridicules. Elles étaient le résultat direct des frontières temporaires créées en 1948 lors d’une rencontre entre Moshe Dayan, commandant des forces israéliennes à Jérusalem, et son homologue jordanien Abdullah Tal.
S’attendant à se réunir à nouveau pour des modifications, ils ont écrit dans l’accord qu’ils « supposent qu’il y aura d’autres discussions… [et des changements] ». Pourtant, les lignes préliminaires de leur carte, écrites avec des crayons gras souples qui se dilataient sous l’effet de la chaleur et s’estompaient avec le temps, sont devenues des frontières permanentes.
Le personnel des Nations unies et des représentants d’Israël, de la Trans-Jordanie et de l’Égypte regardent une carte de Jérusalem à la résidence de l’archevêque catholique syrien près de la porte de Damas, à Jérusalem, le 22 août 1948. Moshe Dayan est assis, portant un cache-œil. (AP/Jim Pringle)
L’accord de Dayan-Tal a coupé en deux une des rues du quartier d’Abu Tor à Jérusalem. Ainsi, pendant les 19 années où Jérusalem a été divisée, un côté de la rue relevait de la Jordanie et l’autre, d’Israël.

L’affaire de la salle de bains

Bien qu’il puisse y avoir des actes amicaux entre les gens des deux côtés de la rue, chaque petit changement dans le statu quo donne lieu à des plaintes et des condamnations. Une famille israélienne qui vivait à 50 mètres d’une position de l’armée jordanienne n’avait que des latrines extérieures. Lorsque la situation politique était tendue, il devenait dangereux d’entrer dans la cour. C’est pourquoi, en 1965, quelques jours avant Yom Kippour, la famille a commencé à construire une salle de bain intérieure.
Le matin de Yom Kippour, un représentant israélien à la Commission mixte d’armistice a reçu une convocation urgente : les Jordaniens affirment qu’Israël a violé le statu quo. Comme il s’agissait du jour le plus saint de l’année juive, les Israéliens ont tenté de retarder la réunion. Mais les Jordaniens ont répondu qu’ils ne pouvaient pas être responsables de ce qui pourrait se passer de leur côté.
La maison de Jérusalem qui a déclenché la fameuse « affaire de la salle de bain » en 1965. (Shmuel Bar-Am)
Incroyable, le jour de Yom Kippour, la Commission mixte d’armistice (qui comprenait des représentants israéliens, jordaniens et des Nations unies) a siégé pendant 18 heures pour discuter de la salle de bains. Trente-six pages enregistrées de ces discussions « cruciales » existent encore. Israël a finalement été condamné, mais la famille a obtenu sa salle de bains dans ce qui est encore connu, aujourd’hui, comme l’affaire de la salle de bains.

Une route papale

En 1964, le pape Paul VI annonce qu’il souhaite visiter le mont Sion. À l’époque, un étroit chemin de terre le long des pentes menait aux lieux saints de la montagne. Le chemin était en partie situé dans le no man’s land, avec une extrémité en territoire israélien et l’autre en territoire jordanien.
Avant l’arrivée du pape, Israël décide de transformer le chemin en route goudronnée afin que sa voiture puisse atteindre plus facilement le Cénacle, le site chrétien traditionnel de la dernière Cène de Jésus. Les Jordaniens ne s’y opposent pas, et la route est préparée pour sa visite.
Après son départ, les pèlerins chrétiens ont afflué au mont Sion, et les embouteillages étaient fréquents. En 1966, Israël a commencé à élargir la route, en prenant soin de ne toucher à aucune propriété détenue par des Jordaniens. Mais quel boucan s’en est suivi lorsque les bulldozers israéliens ont involontairement jeté quelques mottes de terre du côté jordanien de la frontière. Les Jordaniens se sont plaints auprès de la commission de cessez-le-feu – et les travaux sur la route ont été interrompus.
La route de Jérusalem construite pour une visite papale en 1964. (Shmuel Bar-Am)
Avec le mont Sion sur les lignes de front adjacentes à la Vieille Ville, Israël a installé une base sur le terrain et dans les bâtiments de l’école Bishop Gobat (aujourd’hui le Collège universitaire de Jérusalem) situés sur ses pentes. Mais il y avait un problème : la large vallée de Hinnom se trouvait entre Jérusalem-Ouest et le mont Sion.

De l’autre côté de la vallée

Comment l’armée pouvait-elle faire passer des soldats et du ravitaillement dans la vallée et sur la montagne avec les Jordaniens perchés sur les remparts de la Vieille Ville ? Comment allaient-ils évacuer les blessés ? Et les problèmes n’ont pas cessé, même après la division de la ville, car toute personne ou tout objet se déplaçant sous les murs de la Vieille Ville était une cible potentielle des Jordaniens.
Une solution consistait à creuser une tranchée partiellement couverte entre l’école de Gobat et le quartier de Yemin Moshe, de l’autre côté de la vallée. Malheureusement, le tunnel, qui est resté en place jusqu’à la réunification de la ville en 1967, était trop étroit pour supporter un trafic important et comportait de nombreux virages peu pratiques.
L’ingénieur Uriel Hefetz a donc eu l’idée d’un téléphérique et, en décembre 1948, l’armée a tendu un câble d’acier de 200 mètres de long à travers la vallée du Hinnom, de l’actuel hôtel Mount Zion dans la rue Hebron à l’école de Gobat. Trois soldats étaient nécessaires de chaque côté pour enrouler le câble à la main.
Le téléphérique construit en 1948 sur la route de Jérusalem à Hébron. (Shmuel Bar-Am)
Bien que le téléphérique n’ait été utilisé que pendant une courte période, il a été entretenu, comme le tunnel, en cas d’urgence. Le téléphérique était si secret que, jusqu’à ce qu’il soit révélé au public en 1972, peu de gens dans le pays avaient connaissance de son existence.
Le câble est toujours là, visible depuis le pont qui enjambe la rue Hebron, la vallée et le mont Sion. Il fait partie intégrante du musée du téléphérique situé dans l’hôtel Mount Zion.
Le funambule français Philippe Petit n’est pas étranger aux câbles. En 1971, il est devenu célèbre en marchant sur une corde raide entre les tours de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Trois ans plus tard, il a été arrêté après une promenade non autorisée entre les tours Jumelles (Twin Towers) qui dominaient autrefois New York.
Vingt ans après la réunification de Jérusalem, le maire Teddy Kollek a invité Philippe Petit à réaliser une acrobatie similaire à travers la vallée du Hinnom dans le cadre du Festival d’Israël de cette année-là. L’intéressé fut ravi par l’idée. Il revêtit un costume de bouffon pour l’occasion et, dans un geste symbolique de paix, libéra une colombe de sa poche et osa traverser une vallée qui divisait autrefois la ville en deux.

Aviva Bar-Am est l’auteure de sept guides en langue anglaise sur Israël. Shmuel Bar-Am est un guide touristique agréé qui propose des visites privées et personnalisées en Israël pour les particuliers, les familles et les petits groupes.

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