vendredi 29 mai 2020

Médecins de Molière ?


Mettez deux médecins dans une pièce – ou sur un plateau  –, il en sort trois théories. Telle est la conclusion que pourrait tirer une opinion lassée du défilé continu d’experts, de professeurs, de scientifiques tour à tour interrogés par les journaux, les radios ou les télévisions pendant la crise du Covid-19. Il est vrai que la succession des propos contradictoires donne le tournis. 

«Une grippette» au début, un danger majeur trois semaines plus tard, les masques inutiles soudain devenus essentiels, les tests superfétatoires changés en panacée à un mois de distance, la chloroquine, potion magique pour les uns, poudre de perlimpinpin pour les autres, la «deuxième vague» inévitable devenue friselis à l’usage, le Covid phénomène saisonnier disparu à l’été ou spectre toujours présent  : tout et son contraire, cacophonie, fausses notes et vraies intox, jusqu’à ce pugilat insensé entre les deux factions pro et anti-Raoult. Pour un peu, nous voici revenus aux temps des médecins de Molière. A moins qu’on applique aux épidémiologistes ou aux virologues ce qu’on dit parfois des économistes : «Always wrong, never in doubt.» Ils se trompent toujours et ne doutent jamais.

La science médicale, on le craint, n’en sortira pas grandie. Ces polémiques confuses, ces noms d’oiseaux échangés d’un hôpital à l’autre, ces philippiques de laboratoire, donnent l’idée d’une discipline fragmentée, divisée, en guerre civile, traversée de chapelles, de clans et de rivalités, minée par les conflits d’intérêts et les guerres d’ego.
A moins que, paradoxalement, elle ne fasse progresser non l’image de la science mais sa pédagogie. On a sans doute confondu à tort science et certitude, hypothèse et conclusion, théorie provisoire et résultat définitif. Or si la médecine repose désormais, dans l’ensemble, sur un savoir reconnu et vérifié, éprouvé par l’expérience, les études et la clinique, tout change face à un phénomène nouveau comme le Covid. Les savants font au mieux, armés de leur savoir. 

Mais comme tout un chacun devant l’inconnu, ils tâtonnent, avancent des hypothèses que la réalité dément un peu plus tard, suivent des fausses pistes et s’égarent parfois dans le dédale des études. Ils divergent logiquement et confrontent leurs idées, sachant que la controverse permet d’aiguiser les arguments. Ainsi, plutôt que lui tourner le dos, il faut conforter la science, la vraie, qui suppose une part d’incertitude qu’on s’efforce de réduire, non par la rhétorique, mais par l’expérience. Ce n’est pas la science qui trompe l’opinion. C’est sa politisation, ou sa déification.
LAURENT JOFFRIN

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