samedi 11 juillet 2020

Documentaire : chronique heureuse de la Tunisie post-revolution..



Agriculteurs, enseignants, associations… La réalisatrice Teycir Ben Naser est allée à la rencontre de ceux qui portent le changement à travers le pays.
Par Mohmad Haddad (contributeur Le Monde Afrique, Tunis) - LE MONDE 
Sorti le samedi 1er septembre en Tunisie, le documentaire La révolution est là, de Teycir Ben Naser, s’impose comme une réponse à ceux, blasés ou frustrés, qui s’interrogent sur les acquis du soulèvement de janvier 2011. La réalisatrice parcourt le pays dans des « louages » (taxis collectifs) et tend son micro aux passagers avec une question : « Qu’est-ce que la révolution vous a apporté ? »
Sur le chemin, des voix, souvent masculines, révèlent les déceptions face aux difficultés économiques, l’explosion de l’inflation et le chômage. Ils rêvent d’un ailleurs meilleur, souvent en Europe. Mais le documentaire nous fait aussi découvrir, au fil de ses haltes, des oasis de changements surgis après la révolution : des projets portés par des enseignants, des agriculteurs, des associations.

« Transmettre le savoir aux enfants »

Ainsi de Salah Mekdali, un « papy » qu’on voit arriver, coiffé de sa chéchia, sur une vieille mobylette au milieu d’une allée de palmiers à Gabès, dans le sud-est du pays. Cet agriculteur résiste aux engrais chimiques et aux semences hybrides. Il n’utilise que les graines qu’il récolte lui-même, une tâche fastidieuse mais qui lui épargne l’asservissement aux entreprises agro-industrielles étrangères. « Si j’achète aux Français ou aux Américains, ils peuvent du jour au lendemain décupler les prix », affirme-t-il.
Ces semences locales sont d’ailleurs plus résistantes et ne nécessitent pas l’usage de pesticides. Salah Mekdali se remémore une saison où une maladie a sévi dans les champs voisins, épargnant ses salades. « Je sais comment extraire les semences, les tamiser et les exposer au vent, se targue-t-il. Ces techniques doivent êtres enseignées aux enfants, je suis prêt à leur transmettre mon savoir. » Cet agriculteur a déjà franchi le pas avec son propre petit-fils, qu’on voit à l’écran, tous les deux accroupis au plus près de la terre, extrayant des radis un à un.
L’idée de la transmission est essentielle dans ce film. Elle se manifeste dans la séquence tournée à Fernana, un village à une vingtaine de kilomètres de la frontière avec l’Algérie. Hager et Sana, deux jeunes enseignantes de français au lycée, animent des ateliers de chant, de théâtre, de cinéma, de jeux collectifs et de karaoké. Pour elles, au-delà du français, le plus important est que les élèves soient épanouis et heureux de venir à l’école. Le directeur du lycée témoigne d’une amélioration du taux de réussite au bac, de 14 % à 34 %.
Ce film raconte d’autres expériences, plus ou moins connues : que ce soit au cœur de Tunis, où deux frères jumeaux ont lancé un café culturel ouvert aux débats, concerts et projections de films, ou à Jemna, dans le sud, où des citoyens ont repris la gestion d’une palmeraie.

Sublimer les « zones d’ombre »

C’est en rédigeant une série d’articles pour Nawaat, un média indépendant en ligne, que Teycir Ben Naser a pris conscience de « la nécessité de mettre ces actions en lumière et en images ». Son idée est de faire revivre l’espoir que le changement est possible et qu’il est déjà en cours. Un parti pris qui n’est pas étranger aux choix esthétiques du film. Les régions intérieures, que le régime de Ben Ali appelait « les zones d’ombre » et qui sont en général associées au sous-développement et au chômage, sont sublimées par des plans filmés par drone.
Pour autant, le changement peut-il venir d’une somme d’initiatives individuelles ? Et comment passer de l’expérience d’une personne à un projet collectif ? Ces questions sont au cœur des débats suscités par ce film. Certains lui reprochent sa vision « individualiste », susceptible de « dépolitiser les citoyens » et de « déresponsabiliser l’Etat ». Teycir Ben Naser affirme être consciente de ce risque et estime qu’« il est nécessaire que ces initiatives soient transmises et mises en réseau pour que les structures s’en saisissent ». 
Elle s’appuie sur l’expérience de Vélorution, un collectif qui a imposé la présence des vélos dans l’espace urbain tunisien. Le principe est simple : des dizaines voire des centaines de personnes se rendaient à des manifestations culturelles à vélo. Résultat : les pistes cyclables ont fait leur apparition dans les programmes électoraux, avant de finalement se concrétiser sur le bitume.

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