Mardi, la direction de l'enseigne a annoncé la fermeture du dernier grand magasin populaire dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Employés et clients sont sous le choc : c'est la fin d'une institution.
«Chez Tati t’as tout», mais il n’y aura bientôt plus rien du tout. Après soixante-dix ans d’existence, le groupe GPG (propriétaire de Gifi, Tati, Besson et Trafic) a annoncé mardi la fermeture définitive du dernier grand magasin Tati de France, le plus célèbre, installé depuis 1948 au 4, boulevard de Rochechouart, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. «Tati n’a pas vu le retour de ses clients vers son centre historique de Barbès», dont le magasin a été «doublement» touché par les grèves de décembre et la crise sanitaire, a expliqué son directeur général délégué, Thierry Boukhari, dans un communiqué en forme de faire-part de décès.
Tati, dont le vichy rose égayait ce quartier populaire de Paris depuis l’après-guerre, «a accusé une baisse de 60% de ses ventes entre le 1er octobre 2019 et le 31 mai 2020 par rapport à la même période l’année précédente», a précisé Thierry Boukhari. Un coup fatal pour cette institution du prêt-à-porter premier prix qui avait déjà beaucoup souffert de la concurrence des enseignes de fast-fashion mondialisées comme Zara ou H&M. Pour le moment, la direction du groupe n’a pas dévoilé la date de fermeture définitive du site ni donné de précisions sur le sort des salariés de Tati Barbès.
Seules les deux petites annexes Tati mariage et Tati déstockage resteront ouvertes, mais jusqu’à quand ? Dans l’immédiat, près d’une trentaine d’employés du magasin principal sont menacés de licenciement.
«Un ballet incessant»
Fondée en 1948 par Jules Ouaki, un sellier sépharade né dans le quartier de la Goulette à Tunis qui fut sous-marinier des Forces françaises libres pendant la guerre, l’enseigne est partie d’une idée simple : proposer «la première grande surface de la fringue à quatre sous» au petit peuple de Paris. «Chez Tati t’as tout ! Les plus bas prix !» martelaient les slogans de la maison.
C’était le nouveau bonheur des dames made in France. La clé du succès de Jules Ouaki, est «l’achat de gros lots à très bas prix revendus très rapidement», se rappelle un ex-cadre de Tati, à l’époque encore propriété de la famille Ouaki. «Quand la marchandise était achetée le jeudi, elle était en rayon le samedi et si ça ne partait pas assez vite, on baissait les prix le lundi. On n’attendait pas les soldes, c’était un ballet incessant.» Tati est un lieu vivant où le bruit, la rumeur de la foule pressée de faire de bonnes affaires, règne. Et pour trouver son bonheur, il fallait avoir un œil de lynx mais aussi une certaine dextérité pour prendre en une fraction de seconde les articles que l’on souhaitait acheter.
Premier arrivé, premier servi
Au début de l’aventure, il n’y avait pas d’étiquettes, il y avait des bacs remplis de divers produits accompagnés d’un écriteau qui indiquait le prix des lots vendus. Des employés vêtus de blouses blanches, situés à chaque section du magasin, comptaient et inscrivaient sur leur rapport combien de lots étaient vendus.
Premier arrivé, premier servi : le dicton illustre parfaitement l’engouement des clients lorsqu’ils entraient dans le magasin. Les étals et les bacs étaient rapidement épuisés, pour le plus bonheur de la famille Ouaki qui réalisait de beaux bénéfices. «C’était le symbole de la chaîne, une énorme machine», se souvient un ancien dirigeant de la société au début des années 90, contacté par Libération. «On faisait 120 millions d’euros par an sur le site de Barbès qui comptait alors onze magasins et plusieurs centaines de salariés.» Le navire amiral de l’enseigne, qui représentait à l’époque 40% du chiffre d’affaires d’un groupe en pleine expansion.
Aujourd’hui, lorsque l’on marche sur le boulevard Rochechouart, on peut voir de loin des panneaux lumineux bleu et rose surplombant la grande bâtisse haussmannienne quelque peu défraîchie, sur laquelle il est écrit en grandes capitales «Tati, les plus bas prix».
Sur les nombreuses vitrines du magasin, divers encarts annoncent des soldes «à moins 50%» : apparemment, il s’agit de liquider les stocks de la boutique rapidement. La glorieuse époque de Tati est décidément bien révolue. Ce mardi après-midi, quelques heures après l’annonce de la fermeture prochaine du magasin, les clients sont au rendez-vous et font la queue aux caisses, mais ne sont pas forcément au courant de la mauvaise nouvelle.
Les employés du magasin sont rares dans les allées et rayonnages. On croise tout de même quelques salariés au visage déconfit, encore sous le choc du communiqué de la direction. Aucun d’entre eux ne souhaite réagir publiquement.
Noël toute l’année
Côté clients, les habitués sont incrédules en apprenant l’annonce de la fermeture : «Tati a été notre magasin d’enfance, se remémore Leïla, 45 ans. Il offrait des produits de bonne qualité et bon marché. Des gens venaient d’horizons différents pour acheter chez Tati. C’est vraiment dommage qu’il n’ait pas su faire face à la concurrence.» Pour d’autres fidèles, Tati, c’était Noël toute l’année : «Aujourd’hui, lorsque j’entends ces quatre lettres, Tati, je suis prise d’une certaine mélancolie du temps de mon enfance.
La femme que je suis aujourd’hui remercie cette enseigne qui a fait partie de mes souvenirs d’enfance les plus gourmands et abondants, se souvient Myriam, 39 ans. Tati a donné à ma mère le métier de femme de ménage, la chance et le bonheur d’assouvir les besoins et caprices de chacun de ses quatre enfants.»
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Interrogée par Libération, Elodie Ferrier, secrétaire fédérale CGT commerce et services, accuse la direction du groupe de n’avoir pas tenu sa promesse lors de la reprise de la filiale Tati en 2017 par le groupe GPG de Philippe Ginestet. «Lors du rachat de chaîne, la direction avait appliqué un PSE [programme de sauvegarde de l’emploi, ndlr]. Or depuis il n’y a eu que des licenciements et des fermetures de magasins. Ce n’est pas un programme de sauvegarde de l’emploi mais un programme de suppression de l’emploi.» Dans un tract diffusé en interne mardi, la CGT estime que «la fermeture de Barbès n’est pas une conséquence de la crise sanitaire, ni des grèves».
Et accuse : lors du plan social qui avait déjà entraîné 189 suppressions d’emplois chez Tati en 2019, le repreneur GPG «avait clairement affiché son intention de se séparer de l’ensemble des magasins Tati» et interpellée par le syndicat, la direction «avait promis de ne pas fermer le magasin de Barbès». Pour la CGT, qui demande «le maintien des emplois au sein du groupe», l’épidémie n’a été qu’un prétexte pour tirer le rideau. Les employés de Tati sont appelés à la grève et manifesteront jeudi à 10 heures, Place d’Italie à Paris.
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