La tension monte encore d’un cran en Libye, alors que beaucoup craignent que l’armée égyptienne entre en Libye et engage les forces pro-turques. Une escalade de tous les dangers. Pour faire la lumière sur cette situation explosive, Sputnik a tendu le micro à Kader Abderrahim, spécialiste de la géopolitique du Maghreb.
Bientôt une confrontation militaire directe entre l’Égypte, 9e armée du monde, et la Turquie, 11e armée, sur le théâtre libyen? C’est ce que craignent de nombreux observateurs après un vote à l’unanimité du Parlement égyptien, le 20 juillet, donnant l’autorisation au Président Abdel Fattah al-Sissi de lancer une intervention militaire.
Une appréhension d’autant plus forte que ce vote intervient quelques jours après que le Parlement de Tobrouk, sous l’autorité du maréchal Haftar, homme fort de l’Est libyen –soutenu par Le Caire–, ait approuvé un texte autorisant une intervention égyptienne en cas de «menace».
À ces décisions lourdes de sens s’ajoute le fait qu’al-Sissi a toujours proclamé que la ville de Syrte, encore contrôlé par Haftar, constituait une ligne rouge que ne devait pas dépasser le GNA (gouvernement d’union nationale), reconnu internationalement et soutenu militairement par la Turquie.
Pour autant, les forces fidèles au GNA de Fayez el-Sarraj, fortes de leurs derniers succès militaires, s’approchent tous les jours un peu plus de Syrte et ont affiché leur détermination à reprendre la ville. Ces derniers ont même appelé les forces du maréchal Haftar à quitter la ville et à négocier un cessez-le-feu avec le GNA.
Une escalade trop risquée pour les deux parties
La situation est donc particulièrement explosive, mais peut-elle réellement dégénérer au point de voir des missiles égyptiens descendre des drones turcs? Pas si sûr, explique au micro de Sputnik Kader Abderrahim, chercheur à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques), spécialiste du Maghreb et de l’islamisme, maître de conférences à Sciences Po Paris.
«Je ne crois pas à une confrontation directe entre l’Égypte et la Turquie sur le théâtre libyen. Ce n’est dans l’intérêt de personne. Ça serait dommageable pour Le Caire et Ankara. Pour les premiers, car ça les impliquerait directement dans le bourbier libyen et pour les seconds, car ils perdraient des positions qu’ils ont acquises et l’avantage qu’ils ont obtenu en inversant le rapport de forces entre l’Est et l’Ouest.»
Pour le chercheur à l’IRIS, le pétrole constitue le principal nerf de la guerre en Libye: «ce qui intéresse tout le monde, c’est le contrôle des champs pétrolifères dans l’Est libyen.» Il évoque ainsi le croissant pétrolier de Syrte, qui regroupe les principaux terminaux pétroliers et son bassin, qui comprend 70% des réserves du pays.
«Le gouvernement égyptien a déjà de nombreux problèmes internes»
Le fait que le contrôle de la ville soit potentiellement remis en cause par les forces parrainées par la Turquie pousse Le Caire à bomber le torse. Mais, même compte tenu de ces enjeux, il est peu probable que l’Égypte et la Turquie en arrivent à une confrontation, indique Kader Abderrahim:
«Même si les Turcs ne trouvent pas de compromis avec l’Égypte, ils ne s’engageront pas dans un conflit avec eux pour le contrôle de la région. Ils chercheront un approvisionnement énergétique ailleurs.»
Et si «toute la question est de savoir jusqu’où l’Égypte est prête à aller», selon le maître de conférences à Sciences Po Paris, le statu quo sera maintenu et Le Caire continuera à soutenir l’ANL (Armée nationale libyenne) du maréchal Haftar sans s’engager directement, estime-t-il. Une déclaration conjointe turco-russe parue ce 22 juillet après la visite d’une délégation russe en visite à Ankara va d’ailleurs dans le sens de la préservation du statu quo.
Le conflit libyen, révélateur de l’inertie onusienne?
D’autant que même si l’Égypte hausse le ton au nom de sa sécurité extérieure, le pays est loin toujours d’être stable. Comme l’explique le spécialiste du Maghreb, le gouvernement égyptien a déjà de nombreux problèmes internes: il est très contesté et il est peu probable qu’il choisisse d’ajouter à cette opposition virulente un conflit externe.
«L’Égypte doit également faire face au terrorisme intérieur. Il y a une partie du Sinaï qui échappe au contrôle du Caire et elle est contrôlée par les terroristes, il y a des attentats régulièrement dans le pays. C’est une situation volatile», souligne Kader Abderrahim.
Qu’il s’agisse de l’Égypte ou de la Turquie, un seul pays ne ramènera pas unilatéralement la paix en Libye, selon lui: «pour mettre fin à ce conflit, il faudrait un accord réel entre les différents États qui interviennent dans ce conflit, même s’ils sont nombreux.» Scénario tout de même difficilement envisageable à court terme, tant ce discours est devenu monnaie courante ces dernières années, sans qu’il ne produise le moindre résultat.
C’est d’ailleurs, selon Kader Abderrahim, un exemple typique de l’inefficacité de la médiation onusienne. La récente démission de l’expérimenté Ghassan Salamé en est la preuve irréfutable, selon lui: «plus personne n’écoute les Nations unies», explique le chercheur, pour qui le conflit libyen met en lumière «l’enjeu de la rénovation de la gouvernance mondiale».
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