On peut se demander pourquoi la Turquie – un pays situé à environ 3 000 km à l’est de l’océan Atlantique – se retrouve dans une entité appelée « Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ».
Se poser la question, c’est aussi se demander pourquoi son voisin la Grèce (une autre nation éloignée des côtes de l’Atlantique) a également rejoint l’OTAN en février 1952, marquant la première fois que l’alliance a procédé à un quelconque élargissement.
Sauf qu’on ne pose pas la question pour la Grèce parce que de fil en aiguille, les gens ont pris l’habitude d’associer OTAN à Occidentaux. Rien n’est moins faux. L’OTAN n’est absolument pas une organisation occidentale mais sécuritaire, créée pour se protéger contre un Etat occidental, la Russie.
L’OTAN a été formée en avril 1949 avec 12 membres (deux nations nord-américaines et 10 États d’Europe du Nord ou de l’Ouest).
Le principal objectif de sa création était de contrer la menace d’expansion de l’URSS et du communisme après la Seconde Guerre mondiale.
II faut replacer les choses dans le contexte de l’époque. En fait, il faut toujours tout replacer dans le contexte de l’époque. L’OTAN aussi, et dans le contexte de sa création, pas avec Erdogan l’islamiste.
1947. La Guerre froide venait de commencer
- A partir de 1945, l’Union soviétique a pris le contrôle de la moitié de l’Europe (Allemagne de l’Est, Bulgarie et Albanie en 1945, Hongrie, Pologne, Roumanie en 1947, Tchécoslovaquie en 1948).
- En 1949, tous les gouvernements d’Europe de l’Est, à l’exception de la Yougoslavie, étaient devenus des régimes staliniens purs et durs.
- L’URSS contrôlait également les « Stans » en Asie centrale (Kazakhstan, Kyrgyzstan, Tajikistan, Turkménistan et Uzbekistan).
- L’Union soviétique était une menace. Les pays européens craignaient que les Soviétiques tentent de s’enfoncer davantage en Europe et qu’ils ajoutent un à un les pays les plus affaiblis à sa sphère d’influence.
- Afin de prévenir une telle agression, les pays d’Europe occidentale, soutenus par la puissance militaire des États-Unis, se sont unis pour former une alliance défensive. L’OTAN était née.
1952 : adhésion de la Turquie et de la Grèce
La décision de permettre à la Grèce et à la Turquie de s’allier à l’OTAN en février 1952 a été prise en grande partie en raison des stratégies de la guerre froide contre l’Union soviétique.
Cette décision, notons-le, est prise alors que l’Allemagne de l’Ouest ne fait pas encore partie de l’OTAN : elle rejoindra le bloc trois ans plus tard en 1955, ce qui conduira Moscou à former le pacte de Varsovie.
La Grèce et la Turquie, toutes deux dotées de gouvernements fermement anticommunistes, étaient considérées par l’Occident d’une part comme des remparts contre Moscou et la propagation du communisme en Europe, et d’autre part, comme des États vulnérables à la menace d’expansion soviétique, d’où la décision de leur apporter une aide militaire et économique.
La guerre de Corée se profilant à l’horizon, les craintes de voir la Chine et la Russie étendre leur influence à d’autres parties du monde se sont concrétisées. (La Grèce et la Turquie ont toutes deux fourni des troupes pour combattre en Corée).
Le rôle historique de la Turquie dans l’OTAN
L’importance de la Turquie dans l’OTAN est double. Son adhésion à l’OTAN a garanti que la Turquie ne devienne pas un allié soviétique, tandis que sa position stratégique a renforcé l’influence de l’OTAN contre l’Union soviétique après la Seconde Guerre mondiale.
L’adhésion de la Turquie a été déterminante pour aider l’OTAN à faire face à l’instabilité politique en Europe de l’Est, aux guerres des Balkans des années 1990 et aux activités de l’après 11 septembre axées sur le Moyen-Orient.
- La première est la mer Noire, où la Turquie, ainsi que les États riverains de la mer Noire membres de l’OTAN, la Roumanie et la Bulgarie, tentent d’équilibrer une présence militaire russe croissante.
- Alors qu’elle était auparavant réticente à un rôle plus important de l’OTAN en mer Noire, de peur que cela ne dilue sa propre influence dans la région, la Turquie voit maintenant les dangers de laisser l’influence et la présence russes en mer Noire sans contrôle.
- Avec son annexion illégale de la Crimée en 2014 et son entrée dans la guerre civile syrienne en 2015, la Russie a considérablement accru sa présence maritime et ses capacités de combat en mer Noire et en Méditerranée orientale.
La Turquie et la Russie
L’OTAN est maintenant confrontée à une « bulle anti-accès/déni de zone » qui restreint la liberté de manœuvre des alliés en mer Noire, la Russie étant capable d’attaquer à la fois depuis la terre et la mer.
Pour contrer efficacement cette situation, l’OTAN devrait établir une présence plus continue en mer Noire, relancer l’idée d’une flotte maritime permanente de l’OTAN en mer Noire et envisager de baser davantage de capacités de lutte contre le refus d’accès/zone en Turquie et en Roumanie.
Il est important de noter que la Turquie détient un pouvoir unique pour contrôler l’accès à la mer Noire grâce à la Convention de Montreux de 1936, qui régit le passage naval dans les détroits turcs, limitant le nombre de navires étrangers qui peuvent entrer dans la mer Noire par les détroits et la durée de séjour de ces navires. Cet accès est important tant pour la Russie que pour l’OTAN.
Alors que la Turquie a prouvé qu’elle était une exécutante impartiale et fiable du traité, la Russie a testé et forcé les limites de Montreux à plusieurs reprises depuis la guerre russo-géorgienne de 2008 et, plus récemment, a entravé le parcours des navires de l’OTAN qui sont entrés et sortis de la mer Noire conformément au traité.
Un comportement accru dans ce sens, ou une tentative russe de tirer parti de sa nouvelle relation plus étroite avec la Turquie pour obtenir un accès plus favorable à la mer Noire, augmenterait probablement le malaise de la Turquie, et l’amènerait à compter davantage sur l’OTAN comme contrepoids.
D’autant qu’avec la présence militaire russe en Arménie, Azerbaïdjan et Crimée, désormais complétée par la base navale russe de Tartus en Syrie, les bases aériennes de Kobani et Khmeimim, et la base d’hélicoptères de Qamishli, la Turquie est effectivement encerclée par la Russie.
La Turquie d’Erdogan
Erdogan a été Premier ministre de 2003 à 2014, après quoi il est devenu président de la Turquie.
Souvenez-vous qu’au départ, la Turquie se rapprochait de l’adhésion à l’Union européenne. Les dhimmis Européens en salivaient. Certains événements sous le règne d’Erdogan semblent avoir heureusement éloigné ce cheval 2.3.
Des journalistes, des juges, des avocats, des généraux sont arrêtés. La liberté d’expression mène à la prison. Le pays s’éloigne de la laïcité, et se rapproche des fondamentaux islamiques. Erdogan soutient le Hamas. En outre, la Turquie a aidé l’État islamique dans la guerre en Syrie, et pas seulement en permettant aux djihadistes de traverser la frontière avec la Turquie pour entrer et sortir de Syrie, avant de se retourner contre la Turquie et d’y commettre des attentats. Maintenant, elle s’implique en Irak.
Et bien entendu, elle fait un immense chantage à l’Europe, en la menaçant de laisser passer des millions de migrants si l’Europe ne paye pas le « coût » de les bloquer en Turquie.
L’accord UE-Turquie sur les réfugiés de 2016, par lequel la Turquie reçoit une aide financière de l’UE en échange du maintien de l’accueil de quelque 3 millions de réfugiés, a créé des tensions supplémentaires, les deux parties accusant l’autre de ne pas respecter les termes de l’accord.
L’OTAN et Erdogan
Le monde de 1952 est très différent du monde d’aujourd’hui.
- La plupart des nations européennes qui faisaient partie du pacte de Varsovie ont maintenant rejoint l’OTAN et l’Union européenne.
- La guerre froide avec la Russie communiste a pris fin et le rideau de fer est tombé, tout comme le mur de Berlin.
- Au XXIe siècle, l’OTAN semble plus susceptible de souffrir de l’agression islamique, comme nous l’avons vu en Afghanistan il y a 16 ans, que de celle de la Russie.
- Les incursions unilatérales répétées de la Turquie dans le nord de la Syrie inquiètent. Cependant, tant l’OTAN que la Turquie ont intérêt à y limiter l’influence russe et iranienne.
- Sa volonté de tenir l’agenda de l’OTAN en otage en raison de ses préoccupations nationales, notamment le fait que la Turquie n’approuve pas le plan de réponse graduée pour les États baltes.
- La demande d’Erdogan que l’OTAN reconnaisse la menace que représentent pour la Turquie les unités de protection du peuple kurde (YPG), ce que refuse toujours l’OTAN.
Cependant, la base aérienne d’Incirlik, une base aérienne turque située à 110 kilomètres de la frontière avec la Syrie, est un atout d’importance stratégique pour l’OTAN.
La Russie et l’OTAN
La Russie a rapidement profité des fissures qui se sont formées entre la Turquie et l’OTAN.
- Elle a proposé d’aider la Turquie à écraser les Kurdes du YPG le long de la frontière entre la Turquie et la Syrie.
- Elle lui a offert des équipements militaires russes, comme le système de missiles sol-air S-400, ce qui réduirait à néant les capacités de l’OTAN et a entraîné l’arrêt de la livraison d’avions F-35 à la Turquie.
- Les décisions ultérieures de la Turquie de faire voler ses F-16 contre les S-400 au-dessus d’Ankara et d’entamer des négociations avec la Russie sur l’achat de l’avion de chasse russe Su-35 ont renforcé les inquiétudes selon lesquelles la Turquie n’a que peu d’intérêt à maintenir ou à reconstruire sa relation avec l’OTAN alors qu’elle prévoit plutôt de continuer à tester ses frontières.
Est-il toujours logique d’avoir la Turquie comme membre ?
La Turquie n’est que l’un des cinq États de l’OTAN (les autres étant l’Allemagne, l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas) à stocker des armes nucléaires tactiques américaines sur son territoire. Les Etats-Unis pourraient donc rééquilibrer ses forces protectrices sans grande difficulté, seules une cinquantaine de bombes nucléaires B-61 étant stockées sur la base aérienne d’Incirlik, contrôlée par le personnel américain qui y est stationné.
Doit-on s’attendre à ce que la Turquie soit utile en cas de conflit avec la Russie, ou qu’elle devienne un handicap dans un conflit avec le monde islamique ?
Son allégeance peut-elle changer ?
Le reste de l’OTAN est-il réellement disposé à soutenir Erdogan en cas de guerre avec un ennemi musulman ?
Actuellement, la méfiance mutuelle est telle que de nombreux Alliés se demandent si la Turquie partage toujours les intérêts et les valeurs de l’OTAN.
En face, nombreux sont ceux en Turquie qui demandent à voir les avantages de l’adhésion à l’OTAN ou d’un nouveau processus d’adhésion à l’UE.
La raison pour laquelle la Turquie fait toujours partie de l’OTAN est peut-être simplement due à une absence totale de courage politique, et de réel leader européen avec une vision claire et intelligente, au lieu de petits joueurs au jour le jour comme il y en a depuis 30 ans, et qui ont laissé la Turquie devenir, après les Etats-Unis, la plus puissante armée de l’OTAN, avec 640 000 hommes, 3 200 tanks, 9 500 véhicules armés de combat, 1 067 avions militaires, avions de chasse et hélicoptères, 194 navires de guerre et 12 sous-marins.
Conclusion
Le départ de la Turquie de l’OTAN semble historiquement inévitable. La Turquie du président Erdogan abandonne la laïcité et les normes démocratiques pour devenir un État islamiste autoritaire.
Mais voulons-nous voir cette puissance militaire s’allier avec la Russie ? Voulons-nous perdre l’importance géographique stratégique au Moyen-Orient, dans le détroit du Bosphore, la mer de Marmara, et le détroit des Dardanelles entre la mer Noire et la Méditerranée ? Voulons-nous renoncer aux capacités de ce transporteur aérien indétrônable, avec ses 98 aéroports capables de soutenir les opérations aériennes de l’OTAN au-dessus du Moyen-Orient, de la mer Noire et des Balkans ?
Surtout, malgré le chantage et les promesses non tenues concernant le contrôle du flux de réfugiés du Moyen-Orient vers l’Europe, préférons-nous une Turquie amicale au comportement souvent mafieux qui peut aider à stabiliser ses voisins – ou une Turquie hostile qui peut déclencher une inondation humaine en Europe à côté de laquelle l’immigration actuelle ressemblerait au « bon temps » ?
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Jean-Patrick Grumberg pour Dreuz.info.
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