Alors que les négociations sur le futur plan de relance européen se poursuivent, l’accent est mis sur le conflit qui oppose les membres «frugaux» et les «dépensiers». Invité de Jacques Sapir et Clément Ollivier dans un numéro de «Russeurope Express» de juin dernier, l’économiste Bruno Amable proposait déjà de changer d’angle.
Bientôt une fumée blanche au-dessus du Conseil européen à Bruxelles? Emmanuel Macron et Angela Merkel expriment ce lundi après-midi «l’espoir» d’aboutir à un accord sur un plan de relance commun des Vingt-Sept pour faire face à la crise économique du coronavirus. Un sommet marathon qui joue les prolongations: prévu initialement sur deux jours, il en est à son quatrième, ce qui en fait le plus long depuis vingt ans.
«Pour la première fois, il y a une tentative de véritable budget européen qui est proposée. C’est très clairement un pas en avant vers l’union politique.»
Pour historiques que soient ces propositions et négociations, il ne s’agirait donc pas d’une rupture dans la construction européenne, mais au contraire d’une forme de continuité dans le projet fédéraliste: «Ursula von der Leyen, Angela Merkel ou Emmanuel Macron continuent de poursuivre leurs mêmes objectifs en essayant de profiter de ce que les circonstances leur permettent. Ce sont des politiques, ils réagissent comme des politiques.»
Un élément d’analyse qui permet, selon le spécialiste du néolibéralisme, de comprendre le changement de position de l’Allemagne ces derniers mois: «À la faveur du coronavirus, Angela Merkel est devenue favorable à un budget européen important». En cause, la conditionnalité forte qui pourrait être liée à l’attribution de ces prêts et subventions aux pays membres. Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais et chef de file des «quatre frugaux», n’a ainsi de cesse de réclamer que ces aides soient conditionnées à la mise en place de réformes structurelles dans les pays jugés insuffisamment rigoureux.
«Un projet hayekien»
«Il pourrait par exemple s’agir de transformer les recommandations du Semestre européen en obligations, poursuit Bruno Amable. Le danger politique, c’est que les réformes structurelles soient rejetées par les populations, comme en Grèce en 2015, mais à une échelle beaucoup plus grande». Plutôt que de passer par la voie dure, «qui ne s’avère pas la plus efficace, les forces politiques néolibérales, au sein de chaque pays, peuvent être tentées de “faire passer la pilule” par des mesures macro-économiques accommodantes», conclut l’économiste hétérodoxe.
Une solidarité européenne qui s’accompagnerait donc d’un contrôle accru de Bruxelles sur les budgets nationaux, poussant les États à réformer dans un sens néolibéral. «En somme, un projet hayekien», résume Bruno Amable en se référant à l’un des pères du néolibéralisme: «Comme en son temps l’économiste Friedrich Hayek, les fédéralistes libéraux se méfient de la souveraineté populaire et veulent laisser au “marché libre organisé” un large champ d’application.»
«Il s’agit donc de placer les règles de fonctionnement des marchés hors de portée de la remise en question par les citoyens, autrement dit une “constitutionnalisation” supranationale du libéralisme», dénonce le co-auteur de «L’Illusion du bloc bourgeois».
De son côté, Jacques Sapir plaide donc pour que chaque pays membre de l’UE émette d’importantes dettes publiques nationales pour faire face à la crise économique du Covid-19, mais qui seraient monétisées par la Banque centrale européenne. Une mesure rigoureusement interdite par les traités.
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