Succès lors du confinement, la plateforme de streaming diffuse les films favoris de réalisateurs internationaux.
Ça n’a l’air de rien, maintenant que ça existe. Mais le cinéaste et cofondateur de LaCinetek Laurent Cantet peut nous le confirmer : ils n’étaient pas des centaines à croire en la réussite d’une plateforme dédiée aux films classiques (réalisés avant 2005) au moment de son lancement en 2015.
«Peut-être parce qu’on nous a toujours dit que les films de patrimoine, c’était une niche, et qu’il était illusoire de penser qu’un site pouvait s’y consacrer entièrement , présume-t-il. En même temps, on avait le sentiment d’arriver au moment où ces films étaient tout simplement invisibles, et l’intuition que cela pouvait en intéresser d’autres que nous.»
«Nous», ce sont Cédric Klapisch, Pascale Ferran et lui-même, affiliés à la Société des réalisateurs de films (SRF), ainsi qu’Alain Rocca, président de la plateforme UniversCiné. Ensemble, ils ont créé la Cinémathèque des réalisateurs, l’association qui édite LaCinetek et en fixe les orientations stratégiques.
Bond.Il y a quelques semaines, le même Cantet envoyait un mail au cinéaste américain Abel Ferrara, dont on s’imagine la réaction intriguée. Quelles sont les chances que l’auteur de Bad Lieutenant et de Nos funérailles ait déjà été prié de fournir une liste de ses «50 films de chevet», afin qu’une plateforme française se démène à les proposer à ses abonnés ? «Je lui ai dit que ce n’était pas urgent mais que ça nous ferait plaisir.
Deux heures plus tard, il m’envoyait une photo de sa liste griffonnée sur un carnet.» Cinq ans après sa création, LaCinetek compte 1 400 films dans son catalogue, dont plus d’un tiers ne jouissaient d’aucune existence en VOD - c’était le cas de A Swedish Love Story de Roy Andersson, Théorème de Pasolini ou encore Madame Bovary de Renoir. «Les ayants droit ne les mettaient pas forcément en avant, constate le délégué général Jean-Baptiste Viaud. Et les plateformes généralistes manifestent peu de curiosité pour ces films-là.»
Depuis la crise sanitaire et l’intensification des usages en ligne des cinéphiles, la notoriété de LaCinetek a fait un bond. Pendant le confinement, les locations unitaires ont été multipliées par sept et le nombre d’abonnés est passé de 10 000 à 16 000. En mars, Marina Foïs révélait y assouvir ses fringales de classiques italiens, tandis que la sélection
«Un peu de réconfort», pensée pour mettre les angoisses du Covid-19 en sourdine, faisait un carton. Sur le podium des titres les plus regardés : Victor Victoria, Chantons sous la pluie, ou l’indétrônable Dolce Vita. Depuis ses débuts, LaCinetek a marqué sa différence avec l’hyperphagie des géants du streaming.
Les films s’y louent à l’unité («financièrement, nous ne pourrions pas nous permettre d’obtenir les droits illimités», indique Jean-Baptiste Viaud), tandis que l’abonnement à 2,99 euros donne un accès mensuel à une sélection de dix films thématiques.
Prescripteurs.L’aiguillage éditorial et la curation adossée à un algorithme humain sont les credos qu’elle s’est fixés, avec une compréhension optimale de l’économie de la recommandation.
Les prescripteurs s’appellent Todd Haynes, Alain Guiraudie, Bong Joon-ho… «On se met d’accord sur les personnes dont on serait curieux de connaître la liste, puis on enquête pour les contacter, déroule Laurent Cantet. C’est de plus en plus compliqué à mesure qu’on élargit le cercle en dehors de cinéastes amis. C’est tout un boulot de suivi de réussir à obtenir leurs listes sans avoir l’impression de les harceler.»
Cela aura pris deux ans pour Nanni Moretti, contacté avant la mise en ligne du site. Très tôt, Scorsese a fait parvenir la sienne avec une lettre enthousiaste pour dire tout le bien qu’il pensait du projet. «Puis, résume Cantet, ce sont des combats de tous les jours pour obtenir progressivement des films qu’on n’espérait plus avoir.» Aux manettes, on trouve une toute petite équipe «très occupée» de six salariés qui gère l’opérationnel à temps plein.
«Parfois, 50 % des films cités par un réalisateur sont indisponibles, explique Jean-Baptiste Viaud. Parce qu’ils n’ont jamais été numérisés, ou bien on n’a pas les moyens de faire réaliser les sous-titres, on n’arrive pas à remonter la chaîne des ayants droit…»
Cité au Panthéon de treize réalisateurs, la Maman et la Putain de Jean Eustache est l’otage d’un embrouillamini juridique. D’autres films distribués par de gros studios comme la Fox ou MGM sont seulement concédés à des prix de packages prohibitifs. «On ne fait pas de l’exhaustivité du catalogue une affaire personnelle et on publie les listes sans rien faire disparaître, insiste Jean-Baptiste Viaud. On encourage ainsi à les voir par d’autres moyens .»
Virage.D’autant que LaCinetek, désormais hissée dans les estimes aux côtés de la plateforme anglaise Mubi, est de moins en moins seule sur ce créneau patrimonial. Récemment, le film Sueurs froides, cité par 20 cinéastes de la plateforme, où il est pour l’heure indisponible, faisait son entrée sur Netflix. «Il y a une démarche qui consiste à ratisser de plus en plus large, et peut être à étouffer les plus petits, s’interroge Laurent Cantet à propos de ce virage.
Mais que tous les films de Truffaut soient tout à coup accessibles sur Netflix, c’est encourageant. Eux aussi ont senti que ce besoin existait.» Depuis l’an dernier, LaCinetek entre dans ses frais, et l’équipe croit en sa courbe ascendante. Grâce à «une migration technique de grande ampleur» opérée ces dernières semaines, son offre s’étendra aux mobiles et tablettes en novembre.
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