La crise du coronavirus a aussi affecté de nombreux aspects de la vie juive, notamment pour les entrepreneurs et spécialistes des arts créatifs et culinaires, de façon aussi prévisible qu’inattendue.
En voici quelques exemples.
La fragilité des lieux de restauration casher
Au cours des deux dernières années, les spécialités juives comme le rugelach, la babka et la hallah ont fait leur apparition dans les vitrines des boulangeries de la ville. Alors quand Emmanuel Murat et Sarah Amouyal ont ouvert la boulangerie Babka Zana, le 15 janvier, ils étaient pleins d’espoir.
Leurs produits, depuis les brioches babka aux sandwichs à la hallah, ont rapidement gagné en popularité dans les médias français, attirant les foules dans leur établissement de Pigalle. Mais deux mois plus tard, tout s’est arrêté.
Les spécialités de Babka Zana, une boulangerie de Paris. (Crédit ; Geraldine Martens/via JTA)
« En tant que boulangerie, nous étions considérés comme un service essentiel et pouvions rester ouvert, mais nous ne pouvions pas garantir la sécurité de notre équipe ni celle de nos clients », explique Emmanuel Murat.
En suivant les mesures sanitaires strictes et un processus de fabrication adapté aux mesures de distanciation sociale, Sarah Amouyal et lui ont rouvert Babka Zana à la livraison et aux commandes à emporter le 17 avril. Mais l’avenir reste incertain.
« Je suis de nature optimiste, mais ça va prendre du temps », indique Emmanuel Murat. « Tous les restaurants n’y survivront pas ».
Emmanuel Murat et Sarah Amouyal, le couple qui a fondé la boulagerie Babka Zana à Paris. (Crédit : Geraldine Martens/via JTA)
Pour Chiche, un restaurant israélien qui a ouvert il y a trois ans place de la République, où manifestations et rassemblements sont légion, les affaires commençaient tout juste à rebondir après les grèves de la fin de l’année dernière. Jonathan Sason-Cohen, l’un des copropriétaires, a estimé que le chiffre d’affaires avait baissé de 45 % pendant les grèves, qui ont paralysé les transports publics pendant plus d’un mois et demi.
Et la pandémie a porté le coup fatal.
Nous ne savons pas si nous pourrons rouvrir ni dans quelles conditions.
À compter de la septième semaine de confinement, Jonathan Sason-Cohen assurait des livraisons sans contact le vendredi, pour des repas et des accessoires, comme des tote bags, pour les commandes passées en ligne. Mais ses perspectives post-confinement restent assez pessimistes.
« C’est vrai que nous sommes chanceux en France, grâce aux aides de l’État et à l’option du chômage partiel, mais ça ne fait pas tout », commente-t-il. « Nous ne savons pas si nous pourrons rouvrir ni dans quelles conditions. Si nous ne pouvons pas remplir la salle, cela pourrait ne pas être rentable de rouvrir ».
Le projet photo inattendu d’un réalisateur
Pour Philip Andelman, un expatrié américain qui réalise des spots publicitaires et des clips dans le monde entier, la pandémie a été synonyme de nombreuses premières fois : la première fois que la quasi-totalité de son travail s’est évaporée et la première fois, en 11 ans de vie à Paris, qu’il a passé du temps avec sa femme et son fils.
« Aux débuts du confinement, je faisais une proposition pour un nouveau clip des Rolling Stones et j’avais une idée qui plaisait au label, mais elle ne pouvait pas être réalisée avec une équipe de moins de cinq personnes (nos équipes standard en comptent entre 30 et 200) et même cela les a fait réfléchir (et nous n’avons pas pu obtenir d’assurance), alors le projet a été mis en attente », explique-t-il dans un courriel.
Le réalisateur a reconnu que ce temps libre inattendu lui a donné l’occasion de commencer à développer deux projets de plus longue durée qui ont toujours été mis en veilleuse. Et d’apprendre à son fils, Woody, à faire du vélo.
Le réalisateur de clips Philip Andelman documente des lieux publics vides de Paris pendant le confinement, en mai 2020. (Crédit : Philip Andelman/JTA)
« En un jour, il s’est mis à faire le tour des Tuileries », raconte Philip Andelman.
C’est pendant ces promenades qu’il a commencé à prendre des photos de la ville, inhabituellement vide.
L’absence de vie sur la place de la Concorde, les boutiques fermées autour de l’opéra Garnier et l’immobilisme de la Seine, autant de scènes qu’il a capturées sur sa page Instagram, devenue une chronique du confinement.
Des influenceurs culinaires
Avant la pandémie, Sharon Heinrich et Gali Hadari, toutes deux originaires de Tel Aviv, passaient six jours sur sept à gérer des visites culinaires, un projet appelé Paris Chez Sharon.
Elles faisaient venir les visiteurs dans les pâtisseries de grands chefs de la ville et organisaient des démonstrations exclusives avec leurs boulangers et chocolatiers préférés. Ces deux femmes avaient du mal à suivre la demande.
Sharon Heinrich, à gauche, et Gali Hadari gèrent Paris Chez Sharon. (Crédit : Jérémie Korenfeld/via JTA)
Et d’un coup, tout s’est arrêté. Elles ont profité de cette période de confinement pour élaborer de nouvelles stratégies commerciales, construire un nouveau site web, renforcer la présence en ligne de Sharon (près d’un demi-million d’abonnés sur Instagram) en publiant de nouvelles (et alléchantes) vidéos, et se connecter avec leurs fans du monde entier grâce aux conférences Zoom et aux chats en direct sur Instagram avec de grands chefs, tels que Nicolas Paciello et Angelo Musa.
Il se pourrait qu’elles n’aient pas de clients pendant plusieurs mois, mais Gali Hadari en tire un enseignement philosophique.
« Dans notre cas, nous avons passé plus de temps de qualité ensemble et cela a renforcé notre opinion selon laquelle notre vie devrait consister à acheter moins de choses matérielles et à nous concentrer sur des expériences enrichissantes », explique-t-elle.
Sharon Heinrich avec le chef pâtissier Pierre Herme. (Crédit : Gali Hadari)
Pour les artistes, une nouvelle façon d’exposer
Tamara Piller, conceptrice d’interfaces et directrice artistique franco-australienne, la quarantaine lui a donné du temps pour réfléchir à son travail.
« J’ai été inspirée par mon amie Léa Namer, dont l’exposition d’architecture a été annulée à la dernière minute, à cause de la pandémie », indique-t-elle. « Je voulais repenser l’expérience sur la Toile, aller au-delà d’une expo virtuelle, alors j’ai commencé par lui créer un site« .
Tamara Piller a également profité du confinement pour renouer émotionnellement avec Léa Namer, une architecte franco-argentine. Elles ont toutes deux travaillé de longues heures, mais ont maintenu leur rituel du vendredi soir consistant à réciter la bénédiction devant du vin et des bougies.
Elles collaborent maintenant sur un site web qui, selon Tamara Piller, sera une meilleure plateforme virtuelle en ligne pour les artistes et les chercheurs qui souhaitent exposer leurs travaux.
« Il y a tellement de potentiel pour une plateforme dédiée à l’hébergement d’expériences pour d’autres œuvres, c’est donc ma prochaine étape », annonce-t-elle.
Les communautés basculent sur la Toile, plus dynamiques que jamais
À Kehilat Gesher, la seule synagogue progressiste trilingue (français, anglais et hébreu) de la région parisienne, le calendrier des événements est bien rempli depuis le début du confinement. Des sedarim virtuels diffusés en direct sur YouTube aux cours de judaïsme, en passant par les sessions du club de lecture et les prières du matin sur Zoom dirigées par le rabbin Tom Cohen, les fidèles ont pu rester en contact avec la communauté.
« Les fléaux dont nous souffrons actuellement (certainement le réveil de la crise du coronavirus, mais aussi la détresse environnementale, le changement climatique et le terrorisme, pour ne citer que quelques-uns des fléaux modernes), comme les 10 plaies, ne sont pas seulement des obstacles à ce que nous puissions enfin jouir d’une réelle liberté et d’une rédemption spirituelle », a écrit le rabbin Cohen sur sa page Facebook une semaine avant Pessah. Elles nous invitent à travailler à la transformation « du jour d’après », lorsque nous quittons nos maisons ».