Fares et Firas Muhammad ont passé une grande partie de leur jeunesse devant les tribunaux mais quand ils ont décidé de changer de vie, ils ont atterri dans l’unité Golani..
Il y a encore quelques années seulement, Fares et Firas Muhammad, deux jumeaux arabes musulmans originaires de Jérusalem, avaient un casier judiciaire à la brigade des mineurs et semblaient destinés à une vie faite de délinquance et de petits larcins.
Aujourd’hui, tous les deux sont devenus d’excellentes recrues au sein de la légendaire Brigade Golani et Fares suit actuellement une formation pour devenir commandant d’escouade.
Les parents des deux garçons avaient divorcé quand les jumeaux, qui ne devaient plus entendre parler de leur père par la suite, avaient deux ans. Petits, ils avaient fréquenté une maternelle juive pendant une période.
Alors qu’ils avaient dix ans, leur mère s’était échappée, en prenant ses enfants sous le bras, pour fuir un second mari violent et elle avait trouvé refuge dans un foyer pour femmes battues. Les deux frères devaient alors aller dans différents pensionnats et ils avaient passé une grande partie de leur enfance dans les rues de Haïfa.
« Il y a eu beaucoup de prises de bec avec la police… Beaucoup de violences », commente Fares. « J’ai eu des problèmes avec des amis, on s’est beaucoup battus. On a beaucoup volé. Le milieu du crime m’ouvrait les bras. Je ne sais pas… J’aimais l’action, ce moment où il y a l’adrénaline qui monte parce que tu sais que tu es en train de faire quelque chose d’interdit ».
Firas baignait lui aussi dans cette violence et ces activités criminelles.
Peut-être que le pire qui soit arrivé aux frères – l’incident qui devait, par la suite, entraîner un déclic pour Fares – avait été une attaque commise contre une station-service lorsque les deux jumeaux avaient quinze ans.
« On est entrés dans la station-service avec des masques », explique Fares. « L’un de nous avait une fausse arme à feu. Après des cris et un peu d’intimidation, on a pris la caisse et on est partis ».
Mais les deux adolescents avaient rapidement été rattrapés après une enquête de la police qui les avait retrouvés grâce aux enregistrements des caméras de surveillance.
« On n’a pas été très malins », dit Fares.
Un juge avait alors ordonné que Fares rejoigne une institution qui a changé toute sa vie – le Village de Nirim, situé au nord de Haïfa et qui accueille les jeunes en situation de risque.
Ouvert par des anciens de l’unité de commando d’élite Shayetet 13, le village se concentre sur une thérapie basée sur le contact avec la nature – un travail de réinsertion effectué par le biais d’expériences extrêmes qui permettent aux adolescents de développer des compétences de survie et d’orientation.
« Pourquoi vous amenez un terroriste ici ? », s’exclame Idan Friedman, résumant les attitudes des autres jeunes présents dans le village. Ils ont exprimé « toute la stigmatisation, tout ce qu’un ado arrivant à Nirim est amené à traverser – avec tous les préjugés et le lavage de cerveau qu’ils avaient subi. Pour eux, un Arabe était un terroriste et il n’avait pas sa place là-bas. »
Les choses n’avaient pas été faciles avec Fares. Il avait initialement montré des tendances à la violence et il pratiquait l’intimidation à l’encontre des autres jeunes. Après 18 mois, alors que les responsables pensaient qu’il avait fait des progrès, un couteau avait été découvert sous son matelas.
« Je ne sais pas si je l’aurais sorti de là où il était un jour et si j’aurais pu menacer quelqu’un avec », dit-il. « Mais dans mon esprit, avec ce modèle criminel, avec mon esprit criminel d’alors – il fallait que j’aie un couteau avec moi, ici, pour être prêt si c’était nécessaire ».
Il avait été suspendu – mais les responsables n’avaient pas lâché prise. Friedman avait alors suggéré qu’il parte effectuer une longue randonnée sur les sentiers nationaux israéliens – qui s’étendent d’Eilat, dans le sud, jusqu’au kibboutz Dan, dans le nord. C’est ce qu’il avait fait pendant sept semaines, avec des éducateurs différents qui le rejoignaient pour faire avec lui les différentes étapes.
Fares clame que cette expérience a été à l’origine d’un changement fondamental pour lui.
« Sur le parcours, on ne marche qu’avec soi », explique-t-il. « Plus de lien avec personne, on n’a même pas de téléphone. On regarde à gauche ou à droite, tout ce qu’on entend, c’est les pensées qu’on a dans la tête. Où qu’on aille, on se parle à soi-même. Et beaucoup de questions sur soi-même naissent alors : ‘Est-ce que je veux vraiment continuer comme ça ?’, » dit-il.
En arrivant à l’âge de 18 ans, avec ces souvenirs de camaraderie et de survie ancrés en lui, Fares avait décidé d’entrer dans l’armée. Il n’était pas dans l’obligation de le faire en tant qu’Arabe.
Les Arabes israéliens constituent environ 20 % de la population, mais ils sont seulement environ 1 % à intégrer Tsahal. Parmi les minorités arabes, les membres de la communauté druze font souvent leur service militaire et les Bédouins sont, eux aussi, relativement communs dans les rangs des soldats.
Les Arabes non-bédouins sont bien plus rares à l’armée – le service entraînant dans de nombreux cas une stigmatisation sociale intense. Même lorsqu’ils servent, la majorité des recrues arabes sont des Arabes chrétiens, et non des musulmans.
Il y a une raison à cela : La majorité des Arabes israéliens se considèrent comme appartenant au peuple palestinien. Les ennemis d’Israël sont largement Arabes, musulmans ou les deux – qu’il s’agisse des Libanais, des Syriens, des Iraniens ou des Palestiniens. Et une part significative du travail mené par les militaires est d’assurer le maintien de l’ordre dans les territoires palestiniens en Cisjordanie.
Interrogé sur les motivations qui l’ont amené à entrer dans l’armée, Fares répond que c’est « la question entre toutes » mais que c’est, en fin de compte, par reconnaissance pour ce que le pays a fait pour lui.
« Ma vie n’avait pas été facile depuis l’enfance et finalement, c’est l’Etat qui est venu en aide à ma mère, vous voyez », continue-t-il. « Les institutions sociales, les pensionnats où je suis allé… Pour moi, c’est un signe de gratitude. Et puis je vis dans ce pays, et j’adore ce pays ».
Pendant que Fares vivait ses expériences à Nirim, Firas avait pour sa part continué sa vie chaotique qui l’avait amené à passer quelques mois en détention. Il indique que c’est une discussion remplie d’émotion avec sa mère – un jour où, encore une fois, elle lui avait permis de sortir de prison – qui l’avait convaincu de changer. Assis dans la voiture, en larmes, il lui avait promis de laisser son passé derrière lui.
« Assez de c*onneries », se souvient-il avoir pensé à ce moment-là. « Combien de temps ça va encore durer ? Voir ma mère venir au tribunal à chaque fois, où elle me voit avec les menottes. Ce n’est pas drôle. C’est vraiment humiliant… J’ai pris conscience de ça », explique-t-il.
Firas raconte que lorsqu’il s’est présenté au bureau de recrutement de Tsahal en tant qu’Arabe musulman aux antécédents de délinquance et de violences, il a dû rencontrer un psychologue.
« Il m’a dit : ‘Ecoutez, je ne vous vois pas au combat mais vous pouvez entrer dans une unité de soutien des combattants’, » se rappelle Firas. « Là, je l’ai regardé et je lui ai dit : ‘Ecoutez-moi, je peux tout à fait combattre. Je suis un super soldat de combat. Je veux vraiment aller au combat, je vous donnerai tout ce que vous voudrez, mais laissez-moi aller au combat ».
Le médecin militaire s’était finalement laissé convaincre et les jumeaux avaient intégré la brigade Golani.
Amichai Taub, soldat religieux qui suit actuellement la même formation au commandement que Fares, explique que « au début, j’ai cru qu’il y aurait des divisions entre nous – après tout, on vient de milieux très différents. Mais le temps passant, on réalise que Fares est quelqu’un de fantastique. Fares donnerait sa vie pour les autres et les autres donneraient leur vie pour lui », s’exclame-t-il.
Firas est très populaire, lui aussi. Le commandant de sa compagnie, le lieutenant Yair Yehud, indique qu’il est l’un de ses soldats les plus dévoués. « Pour tout acte physique, Firas est toujours le premier. Il est vraiment très apprécié », s’exclame-t-il.
Ce choix de vie est plus décrié auprès de la famille des jumeaux. Même si Fares dit que personne ne l’a approché personnellement, sa mère a été prise à partie.
« Ça les a ennuyés. Ce n’est pas bon pour la réputation de la famille », explique-t-il. « Mais notre mère est une femme forte et elle nous soutient. »
Après des années passées dans les institutions et devant les tribunaux, les deux frères ont le sentiment que leur service les a mis sur la voie de l’acceptation au sein de la société israélienne.
Les jumeaux s’entendent bien et ils se soutiennent l’un l’autre – même si Firas a tendance à mettre en avant son statut de premier-né, avec cinq minutes d’avance sur son frère.
Dans un moment rempli d’émotion, Fares a récemment fait une surprise à Firas en le rejoignant sur une section de sa marche du béret – une longue randonnée que font les militaires à la fin de leur formation pour recevoir le fameux couvre-chef qui signe leur appartenance à l’unité.
Cela fait deux mois et demi que Firas sert à Hébron.
Est-ce difficile pour lui de faire partie de la « puissance occupante » en Cisjordanie ? Il répond que « j’ai pris ça en compte quand je suis entré dans l’armée. Mais on se dit qu’on a choisi de faire ça, et que c’est comme ça ».
Il ajoute que lorsque son unité procède à des arrestations dans la ville, il se cache le visage, ayant des parents éloignés à Hébron et ne souhaitant pas entrer dans la confrontation.
Parfois, on se dit : ‘J’aurais pu être comme eux. Si ma mère ne m’avait pas inscrit dans une maternelle juive, j’aurais été comme eux… mais je suis heureux que maman ait fait ça. Sinon, je ne serais pas là où je suis aujourd’hui », clame-t-il.
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