mardi 12 mai 2020

Que s’est-il vraiment passé le jour de Lag Baomer ?


Par rav David Eliézer
Ce soir, toutes les communautés d’Israël célébreront Lag Baomer. Cette fête conclut une période de deuil de trente-trois jours. Elle se caractérise par son cortège de musique, de chants, et de danses autour des medouroth (les feux de Lag Baomer). Malheureusement, cette année, nous serons privés de ces feux de joie. Mais les flammes de Lag Baomer brûleront malgré tout dans nos cœurs. On associe traditionnellement la fête de Lag Baomer à rabbi Shimon Bar Yohai, l’illustre Tana,  dont ce serait la Hilloula. Mais est-ce vraiment le cas ? D’où provient cette tradition ?
Tout commence avec une Guemara (Yevamoth 62b). Le Talmud nous raconte la disparition tragique des 24000 élèves de rabbi ‘Akiva.  Tous sont décédés entre Pessa’h et Chavou’oth d’une épidémie de diphtérie, une punition céleste pour le manque d’égard des uns vis-à-vis des autres. Rabbi Ya’akov Ben Asher, l’auteur du Tour, écrit que nous avons coutume d’observer des règles de deuil en souvenir de ce drame. Les mariages sont ainsi interdits. Rav Yossef Caro ajoute que certains ont l’usage de ne pas se couper les cheveux. Il apporte un Midrach qui annonce la fin de cette épidémie à l’approche de Chavou’oth, soit quinze jours avant cette fête. Selon l’auteur du Choul’han ‘Aroukh, on pourra se couper les cheveux le matin du 34e jour du Omer. Rav Moché Isserles, le Rema, note, quant à lui, l’habitude des communautés ashkenazes de se couper les cheveux dès le 33e jour du ‘Omer. Il écrit par ailleurs que l’on multipliera la joie et on ne prononcera pas de supplication le jour de Lag Ba’omer (le 33e jour du ‘Omer), car cette date marque la fin de l’épidémie (cf. Choul’han ‘Aroukh Ora’h ‘Haïm siman 493). Le jour de Lag Ba’omer serait donc une commémoration festive de la fin de cette tragédie. Cette explication prend sa source dans l’un des discours de rabbi Jacob Mœlin, dit le Maharil. Beaucoup de rabbanim s’en étonnent, parmi lesquelles rabbi Ézéchias da Silva (1659–1698), célèbre auteur du Pri Hadach. Il s’interroge sur les raisons d’une telle joie, car l’épidémie se conclut par le décès de l’ensemble des élèves de rabbi ‘Akiva. Le monde était alors un désert spirituel. Il n’y a vraiment pas de quoi se réjouir. Il explique donc que la joie provient de l’ordination des nouveaux élèves de rabbi ‘Akiva. En effet, le Talmud raconte que rabbi ‘Akiva se rendit auprès des Sages du Sud et là, il fit cinq nouveaux élèves : rabbi Meir, rabbi Yehouda, rabbi Eleazar ben Chamoa, rabbi Chim’on bar Yo’hai et rabbi Ne’hémia. Ces élèves survécurent et ils assurèrent la transmission de la Tora. Les écrits du Ari hakadoch, rabbénou Yist’hak Louria, corrobore cette explication. On trouve dans le Chaar haKavanot que rabbi ‘Akiva donna l’ordination à ces cinq élèves le jour de Lag Baomer. C’est pourquoi le 33e jour du Omer est le jour de la joie (יום שמחת) de rabbi Shimon Bar Yohai. Le ‘Hida, rabbi Haïm Yossef David Azoulay, écrit également que Lag Ba’omer est le jour de joie de rabbi Chim’on bar Yo’haï. Il ajoute que certains pensent que c’est aussi le jour de son décès. Cette dernière note est aujourd’hui largement admise. Lag Ba’omer est pour la majorité d’entre nous le jour de la Hilloula de rabbi Chim’on bar Yohai. Il n’y a pourtant aucune preuve qui l’atteste. La tradition veut que la source de cette affirmation soit un passage du Pri Etz ‘Haïm de rabbi ‘Haïm Vital. Selon une édition de l’ouvrage, Lag Ba’omer serait le jour où est mort (יום שמת) rabbi Chim’on bar Yo’hai. Or dans toutes les autres éditions, le mot « mort » (יום שמת) est remplacé par le mot joie (יום שמחת). Il s’agirait donc d’une erreur d’impression comme l’affirme rav Yaakov Hillel (cf. Ed hagal hazé page 5).
En conclusion, le jour de Lag Ba’omer est le jour de l’ordination de rabbi Chim’on et non le jour de son départ de ce monde. Néanmoins, la tradition populaire persiste. Et bien qu’il n’y ait pas de preuve formelle, il est désormais admis que la Hilloula de rabbi Chim’on Bar Yo’hai est le 33e jour du ‘Omer. Cette affirmation soulève une nouvelle question. Pourquoi nous réjouissons-nous lors de la Hilloula de rabbi Chim’on ? Le Choul’han ‘Aroukh (Ora’h ‘Haïm 580 siman 1-2) cite les jours durant lesquels il convient de jeûner. Il s’agit en grande partie des jours où des justes comme les fils de Aharon, Moché rabbénou ou encore le prophète Chemouel ont quitté ce monde. Il en ressort que le jour du départ d’un juste est un moment triste durant lequel l’on doit se recueillir, et pas un moment de joie. En quoi Lag Ba’omer diffère du 7 Adar ? Pourquoi la Hilloula de rabbi Chim’on bar Yo’hai se distingue-t-elle de celle de Moché rabbénou. Certains expliquent que le jour où l’illustre auteur du Zohar s’apprêta à quitter ce monde, il dévoila des secrets kabbalistiques d’une immense profondeur. Ce moment unique est conté dans la Idra Zouta (le petit assemblage) dans la section Haazinou du Zohar. Ils avancent également que ce jour fut accompagné d’une joie céleste incommensurable. Seulement, les connaisseurs affirment que les secrets consignés dans Idra Raba (le grand assemblage) sont bien plus importants que ceux de la Idra Zouta. De plus, si l’âme des justes est toujours accueillie avec joie dans les sphères célestes, leur départ demeure un moment de profonde tristesse pour les hommes. On est donc en droit de se demander pourquoi la Hilloula de rabbi Chim’on est-elle célébrée de cette façon ici-bas ? Une histoire semble répondre à cette question. Rabbi ‘Haïm Vital raconte dans le Cha’ar hakavanot un évènement singulier. Une année, le Ari haKadoch se rendit sur le tombeau de rabbi Chim’on a Méron. Il était accompagné d’un certain rav Avrahamé, lequel prenait très à cœur le deuil du temple de Jérusalem. Il avait l’habitude de prononcer dans chacune des prières des mots de consolation comme le jour de Tich’a Beav. Pendant que le Ari haKadoch se réjouissait avec ses proches et les âmes de justes, l’âme de rabbi Chim’on se dévoila à lui. Elle nota la tristesse de rav Avraham Lévi. Celui-ci prononça « Na’hem », à l’instar du jour de Tich’a Beav. L’âme de rabbi Chim’on demanda alors au Ari haKadoch : « Pourquoi rav Avraham Lévi dit-il « Na’hem » en ce jour de notre joie ? » Elle en tint rigueur et rav Avraham Lévi perdit un fils dans l’année. Ce récit nous montre que rabbi Chim’on a voulu que sa Hilloula soit un moment de joie. C’est donc le souhait du juste que nous nous réjouissions le jour de Lag Ba’omer.

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