Après deux mois d’activité ralentie, les députés voient leur institution entamer son déconfinement. Un quart des élus pourra bientôt siéger.
Des huit semaines de confinement à l’Assemblée nationale resteront des images saisissantes. Comme ces mosaïques de députés menant tant bien que mal des auditions en visioconférence depuis leur salon ou leur cuisine. Celle de 75 députés debout, éparpillés dans l’hémicycle, avant la déclaration d’Edouard Philippe sur le déconfinement. Ou la vision furtive d’huissiers gantés nettoyant les micros. A l’hôtel de Lassay, on a sorti les archives pour convoquer d’autres souvenirs historiques. Ainsi le 9 décembre 1893, quand une bombe artisanale fut lancée dans l’hémicycle, le président de la Chambre enjoint : «Messieurs, la séance continue.» Crue de la Seine oblige, en 1910, les élus traversaient la cour sur des canots, l’un proclamant que si l’eau gagne l’hémicycle, «nous monterons sur les gradins». En 1918, malgré l’épidémie de grippe espagnole, la Chambre a siégé normalement. Ces dernières semaines, Richard Ferrand s’est aussi plu à répéter que l’Assemblée n’a pas cessé ses travaux. «C’est un mythe entretenu par le président : l’activité a été très limitée, relativise un député LREM. On a été plus que confinés, on a été confits !»
«Etat de sidération»
Priés de rester chez eux, les députés, dans un premier temps, gèrent au téléphone les questions inquiètes venant de leur circonscription. Pendant ce temps, sous l’œil de l’Agence régionale de santé, le Palais-Bourbon entrouvre ses portes à une poignée de députés pour les Questions au gouvernement ou l’examen au pas de charge des projets de loi liés à l’épidémie. Trois sont adoptés dans la semaine du 16 mars, dont un accordant de très larges pouvoirs au gouvernement dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
Ce cadre d’exception préoccupe, mais l’exécutif demande des outils pour faire face. Les parlementaires parviennent à poser quelques pare-feu ou à réécrire en direct les verbalisations pour non-respect du confinement. «Nous n’avons pas bâclé, les débats ont été approfondis», promet Gilles Le Gendre (LREM). Mais une élue de gauche l’admet : «On a légiféré en état de sidération, on n’a pas pu être assez un filet de sécurité.» Soumis à des règles strictes, «on ne s’est pas sentis en risque en siégeant», confie une députée LREM. «En tout cas moins que début mars où on se tapait dans le dos à la buvette.» De l’insouciance, l’Assemblée, traumatisée par le petit foyer épidémique qu’elle a constitué début mars, passe à un précautionneux vade-mecum. Voire, le temps avançant, à un excès de prudence, dénoncent certains.
L’agacement se fait sentir sur les conditions d’examen du projet de budget rectificatif. «On nous fait voter des milliards d’euros sans aucun levier, proteste le leader du Parti communiste, Fabien Roussel. Dans notre groupe, on est deux pour suivre un texte, on n’est pas étanches à la fin.» Des amendements de députés LREM ne sont pas défendus faute de signataires présents. «Au départ, on comprenait ces dérogations à notre fonctionnement pour passer des aides financières urgentes, mais là, c’est moins justifiable», regrette Emilie Cariou (LREM).
Fait accompli
Après avoir découvert les joies de la vidéoconférence en commission, chacun en teste les limites. «Ce n’est pas le même ton d’interpellation par écran ni la même fonction tribunitienne», relève Annie Genevard (LR). «On ne peut pas jouer avec la santé mais on pouvait être plus offensifs», estime Philippe Gosselin (LR). La grogne monte encore avec l’organisation chaotique d’un débat sur l’application Stop-Covid, au départ sans vote, finalement élargi au plan de déconfinement.
Même à LREM, on goûte peu d’être mis devant le fait accompli. «L’Assemblée s’efface elle-même. Ce n’est pas notre ego qui est en jeu mais le risque d’imprimer l’idée qu’on pourrait se passer du Parlement», déplore un macroniste. Certains dénoncent les règles de vote par délégation qui laissent peu de place aux divergences. D’autres, sur tous les bancs, exigent de sortir du mode dégradé, d’autoriser plus d’orateurs ou d’envisager le vote électronique. Mais Ferrand met en garde contre les «pseudo-innovations prématurées». «L’Assemblée ne s’est jamais autant réunie, on est en visio en flux continu», défend Patrick Mignola (Modem). Un marcheur : «Voilà qu’ils veulent revenir, on ne va pas débuter chaque séance par un éloge funèbre !»
Sous la pression, Ferrand desserre un peu l’étau, fait voter un plan de déconfinement et demande au gouvernement plus de visibilité pour les textes à venir. Pas du luxe quand le Parlement a moins d’une semaine pour discuter un texte prorogeant l’état d’urgence sanitaire, dont certaines dispositions ont fluctué. La jauge de députés autorisés à siéger a été relevée à 75, et la semaine prochaine à 150. Un député sur quatre.
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